Guerre des sexes : la lutte continue

Rédigé par hamlet le 27 janvier 2014

L'égalité hommes/femmes est un sujet dont rien que l'énoncé peut susciter des foudres : pourquoi ne devrait-on pas parler, plutôt, d'égalité femmes/hommes ? Même la grammaire vient approfondir le caractère tragique de ce dilemme, puisqu'aucune solution égalitaire, et qui ne fasse pas rire, n'a encore été trouvée à la règle qui veut que le masculin l'emporte dans tous les cas sur le féminin.

S'étant saisi de cet épineux problème, sous le haut-matronage de Najat Vallaud-Belkacem, et la collaboration active de l'aile écologiste du parlement, les députés ont voté ce 24 janvier, un projet de loi "pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes" (en gras dans le texte).

A sa manière, Sacha Guitry avait subtilement saisi la difficulté de ce sujet : "J'admettrais facilement que les femmes nous sont supérieures, si seulement elles cessaient de se prétendre nos égales". Subtile, Vallaud-Belkacem l'est beaucoup moins.

Les esprits mal-pensants - il en existe - ne manqueront pas de gloser sur l'intitulé du texte, qui, au lieu de ne prévoir qu'une égalité "frelatée", ou "d'apparence", comme celle qui prévalait avant, prend bien la peine de préciser que celle-ci est une égalité "réelle", enfin ! Les intitulés de textes de lois surprennent souvent, par leur grandiloquence, leur naïveté, ou leur ridicule.*

Les esprits logiques, eux, observeront que cet intitulé, au lieu d'égalité entre les êtres humains, parle d'une égalité entre les femmes et les hommes, reconnaissance implicite d'une différence, tout en inversant l'ordre traditionnel des termes, et en oubliant les trans-genres. Option tout aussi sexiste que la précédente, il est difficile d'y voir un progrès.

En réalité, ce texte à l'intitulé immodeste prévoit d'une part un certain nombre de variations techniques des dispositions du Code de Santé publique, dont il est difficile d'imaginer qu'ils puissent changer la face du sexisme traditionnel, et d'autre part, d'autres dispositions moins anodines dans leur portée sociétale, et dans leur effet clivant.

Article 1 : le décor

Il n'est pas inutile de citer l'article 1 de la loi in-extenso, car il plante le décor d'une manière non-équivoque : 

"La politique pour l’égalité entre les femmes et les hommes comporte notamment : 
1° Des actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les violences faites aux femmes et les atteintes à leur dignité ;
2° Des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes sexistes ;
3° Des actions visant à assurer aux femmes la maîtrise de leur sexualité, notamment par l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse ;
4° Des actions de lutte contre la précarité des femmes ;
5° Des actions visant à garantir l’égalité professionnelle et salariale et la mixité dans les métiers ;
6° Des actions tendant à favoriser une meilleure articulation des temps de vie et un partage équilibré des responsabilités parentales ;
7° Des actions visant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ;
8° Des actions visant à garantir l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes et leur égal accès à la création et à la production culturelle et artistique ainsi qu’à leur diffusion ;
9° (Supprimé)
10° (nouveau) Des actions visant à porter à la connaissance du public les recherches françaises et internationales sur la construction sociale des rôles sexués.

Il s'agit donc, d'une part, de mesures uniquement destinées à améliorer la condition des femmes, censées vivre dans un modèle patriarcal oppressif, et d'autre part, de mesures touchant aux consciences individuelle : "lutte contre les stéréotypes" et diffusion des théories sur le genre (10°). 

L'égalité réelle a comme un petit goût de revendications communautaristes revanchardes...

Confusion des rôles

Si nul ne saurait contester à l'Etat le devoir de lutter pour la justice, la sécurité des citoyens, ou la prospérité du pays, quand il se donne pour devoir de lutter contre les stéréotypes, il est permis de rester méfiant. En effet, désigner les "mauvais" stéréotypes pour les remplacer par des "bons", relève davantage de la propagande que de l'éducation, les vérités sociales défendues par les Etats n'étant que rarement éternelles. Plus loin, confondant son rôle avec celui d'un conseiller conjugal, il se charge de devoir réglementer l'organisation de la vie des couples, et d'imposer un quota de responsabilités. Au secours ! Enfin, confondant son rôle avec celui d'un organisme scientifique, il veut informer le public sur les théories du genre. Or l'expérience montre que l'information dispensée par les Etats n'est que rarement objective.

Un peu plus loin, à l'article 16, la loi "pour l'égalité réelle entre les hommes et les femmes" fait obligation au CSA d'assurer le respect du droit des femmes (et pas des hommes), imposant à tout services de télévision et de radio national, "à contribuer à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes en diffusant des programmes relatifs à ces sujets". S'il ne s'agit pas de propagande gouvernementale, il va devenir difficile de définir ce terme.

Cette disposition se complète de l'obligation pour les écoles de formation des journalistes (elles sont indépendantes, et leur contenu pédagogique n'est pas fixé par l'Etat) de "comprendre un enseignement sur l'égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein des couples". Les écoles n'ont pas apprécié.

L'article 17 renforce, lui, la délation, étendant le "dispositif de signalement de contenus illicites par les fournisseurs d'accès à internet et les hébergeurs de sites aux faits d'incitation à la haine en raison du sexe, de l'orientation sexuelle ou du handicap et aux faits de diffusion d'images de violence." La précision du texte va jusqu'à interdire les concours de beauté pour les "enfants de moins de 16 ans" : deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Rien, en revanche, sur le mode de répudiation public des maîtresses par les représentants de la nation.

Assez curieusement, aucune disposition visant à restreindre la pornographie sur le net, ou même d'en protéger les "enfants de moins de 16 ans" n'est prévue par le texte, aucune atteinte à la dignité des femmes n'ayant été relevées par la ministresse des droits de ces mêmes femmes. Tout est prévu pour sanctionner une image présumée sexiste, mais rien n'est prévu pour sanctionner une image qui ne laisse aucune ambiguïté sur la considération dans laquelle est tenue l'actrice par son partenaire. Probablement, le nombre de sites délivrant des images dégradantes n'est pas en nombre suffisant pour justifier de la même interdiction que les concours de mini-miss, beaucoup plus nombreux ?

IVG : un accès facilité

La situation de détresse prévue par la loi Veil de 1975 comme justification à l'IVG (interruption volontaire de grossesse, ou avortement), a été supprimée. Axelle Lemaire, auteur de cette suppression, la défend par des motifs hautement abscons (dossier de recherche sur ce lien). 

Il est bien difficile de soutenir que cette suppression ne va pas dans le sens d'une banalisation d'un acte dont personne n'oserait dire qu'il est anodin, sans pour autant avoir le courage de dire pourquoi.

Le sens de cette suppression est renforcé, dans le même article, par l'extension du délit d'entrave à l'IVG "au fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher l'accès à l'information sur l'IVG" : ce genre de formulation, très imprécise, s'appliquerait-il, par exemple, aux établissements confessionnels d'éducation qui n'aborderaient pas le domaine de la vie avec les vues estampillées par l'Etat ?

En revanche, le texte ne prévoit aucunement d'améliorer le système d'aide à celles qui, ayant le courage de braver la pression familiale ou étatique, souhaiteraient ne pas avorter, ni d'améliorer les dispositifs d'accès à l'adoption pour les nombreuses familles qui souhaiteraient y recourir.

La mort du "bon père de famille"

L'expression "en bon père de famille", suite à un amendement déposé par les écologistes, a été supprimée, et remplacée par "raisonnablement" dans ses quinze occurrences d'utilisation dans le code civil.

S'il est évident que demander à une bailleuse de "jouir du bien en bon père de famille" est un cas d'emploi discutable (mais qui avait déjà été remplacée par la loi Quillot de 1982), les motifs exposés par ces élus sont affligeants : "Issu du latinisme « bonus pater familias », [...] c’est une expression désuète qui remonte au système patriarcal. Régulièrement incomprise par les citoyennes et les citoyens, elle pourrait pourtant être facilement remplacée." Il est à se demander où ces gens vivent, sous quelle législature un système patriarcal aurait été en vigueur en France, et s'ils prennent vraiment les citoyens pour aussi stupides que cette expression soit "régulièrement incomprise".

Quoi qu'il en soit, le texte du Code Civil, qui lui remonte au système impérial, vert lui aussi, a été revu, pour le plus grand bien de l'égalité des sexes.

Substitution du nom marital par le nom de naissance

Bien que, selon la loi du 6 Fructidor de l'an II, "aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance", les administrations utilisaient le nom du conjoint dans les correspondances avec les femmes mariées, ne faisant rien d'autre qu'adopter la convention utilisée par l'unanimité des citoyens. L'administration, toutefois, insérait dans ses formulaires une case à cocher qui permettait à toute femme mariée de demander à ce que son nom de naissance soit employé en lieu et place de son nom marital.

Suite à cette "loi pour une réelle égalité entre les femmes et les hommes", cette case sera inversée : il faudra désormais que les femmes mariées le demandent, pour que leur nom d'usage, qui est actuellement à 90% celui de leur conjoint, soit remplacé par leur nom de jeune fille. 

En cela, Vallaud-Belkacem ne fait que prolonger Fillon, dont une circulaire de 2012 avait imposé de supprimer les termes "mademoiselle" et "nom de jeune fille" des formulaires administratifs.

So what ?

Certains ne verront dans ces changements que des modifications mineures, sans importance, des gages que le président est contraint de donner à son aile verte, ou aux délires communautaristes de son ministre. Peut-être.

D'autres seront indignés par cette pression de l'Etat à formater les consciences, et à modeler les civilisations, en l'occurrence la notre, dans une irresponsabilité habituelle : ces modifications sont à longue portée, alors que dans seulement dix ans, plus personne ne saura qui a été ministre de la famille, pardon, du droit des femmes. Que l'Etat joue sur les curseurs de longueur, d'attribution, ou d'indemnisation de congé parental, libre à lui. Qu'il les présente comme des "mesures-phares", des "chocs de simplification", ou des "pactes de responsabilité", pourquoi pas, chacun est libre d'y croire. Mais qu'il prétende imposer, au nom de la lutte contre des modèles normatifs qu'il affirme être désuets, d'autres modèles normatifs, qu'il affirme être "modernes", ou "dans le sens de l'histoire", restera toujours impossible à accepter à un esprit libre.

Car enfin :
  • au sujet de l'IVG, dans un Etat qui en assure une promotion active dès le plus jeune âge, via le ministère de l'éducation nationale, est-ce bien une libération des femmes que de vouloir pour elles, à tout prix et en permanence, l'IVG pour tous ?
  • alors que les écoles de journalistes sont libres, et que la responsabilité éditoriale des médias est supposée entière, de quel droit l'Etat imposerait-il un quota de sujets réservés ? Aujourd'hui l'égalité réelle, demain quoi d'autre ?
  • aucune nécessité pratique, et certainement pas une volonté des citoyens, ne justifie la suppression de l'expression "bon père de famille". Est-ce pour le bien des familles, que cette image est volontairement détruite ?
  • de même, aucune nécessité ni aucune demande démocratique ne justifie l'adoption par l'administration d'un usage inverse de celui de 90% des femmes mariées. L'imposer est l'expression d'une volonté, parfaitement cohérente avec les intentions exprimées aux articles 16 et 17 de la loi, mais revient-il à l'Etat de vouloir normaliser les comportements et les consciences vers le modèle civilisationnel labellisé par un ministre de passage, de plus est très fraîchement acculturée ?

Dans un interview à France TV Info, Claudie Baudino, spécialiste des questions de genre, explique pourquoi elle est satisfaite de cette loi pour l'égalité réelle entre les hommes et les femmes : "Ce vote va dans le sens de l’Histoire. D'une certaine manière, le terme de "bon père de famille" venait inscrire dans la loi l'inégalité entre les femmes et les hommes : celui qui gérait une chose en "bon père de famille" ne pouvait être que l'homme, le chef, celui qui détenait l'autorité. Cette évolution entérine la volonté d'égaliser les rôles des femmes et des hommes dans le mariage."

Car il s'agit bien de cela : ce qui reste de cette loi, ce ne sont pas les variations techniques du code de la santé publique dont Baudino n'a que faire, pas plus que tout citoyen normal. Ce qui reste, ce sont ces déconstructions sournoises et volontaires d'une société où, effectivement, l'homme et la femme avaient des rôles distincts, dans un certain ordre consacré par la pratique inscrite dans l'histoire, certes imparfaite, de la civilisation, et, pourquoi ne pas le dire, dans une certaine hiérarchie. Il faut être naïf pour y voir un quelconque "sens de l'histoire" (et pourquoi pas le père Noël, non plus ?) : le sens de cette histoire, c'est la volonté obstinée et le travail d'élus, d'agents d'influence, d'associations, de médias, qui ne sont pas mandatés pour cela, et la réduction au silence des autres.

Le problème de cette déconstruction, c'est qu'elle construit quelque chose d'autre : une société où femmes et hommes deviennent des concepts indifférenciés. Ce qui veut dire, dans les choses terre à terre, qu'ils sont chargés au même titre de la guerre et du repassage, de la cuisine et du bricolage, de l'autorité et de la tendresse, des soins et du jardin, de la voiture et de la déco, de la cave et du frigo. Qu'ils chercheront tous deux, chaque soit et chaque matin, à établir leurs territoires, ce qui ne se fait pas sans conflits. Que l'Etat organise leur indépendance, et la précarité de leur relation. 

Ils sont enfin réellement égaux. Indépendants. Libres. Rivaux. Séparés. En guerre.

Mais le ministère des droits des hommes va mettre en place des mesures correctives.

C'est chouette, l'égalité.



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* Par exemple celle ci : "Proposition de loi visant à mettre en place un dispositif de réduction d'activité des moniteurs de ski ayant atteint l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite, afin de favoriser l'activité des nouveaux moniteurs, adoptée en 1re lecture, après engagement de la procédure accélérée, par l'Assemblée nationale le 21 janvier 2014"



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