Discours du Président de la République au Grand Orient de France à l’occasion du 250è anniversaire de son appellation.

Rédigé par hamlet le 15 avril 2024

La franc-maçonnerie fait l'objet de spéculations et de fantasmes, de par son côté semi-secret. Certains sont tentés d'y voir la main qui dirige le monde, tandis que d'autres estiment qu'il ne s'agit que d'une association philanthropique parmi d'autres.

Quoi de mieux que le discours d'Emmanuel Macron pour le 250° anniversaire du Grand Orient, pour en donner un aperçu ?

  

Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Messieurs les préfets,
Messieurs, Mesdames les très respectables grands maîtres,
Mesdames et Messieurs,
chers amis,

Je vous remercie, très respectable grand maître, d’avoir accepté que la parole circule jusqu’à moi. Premier outil du franc maçon et de l’homme de bonne volonté. La confrontation des oppositions féconde en effet l’acceptation de l’autre dans vos loges au Grand Orient et dans les autres obédiences représentées ici aujourd’hui se poursuit sans relâche, et ainsi conduit ce travail maçonnique et au fond, cette maïeutique utile pour le pays et pour la République. Je voudrais avant toute chose, chercher ici à dire l’importance de cette parole et votre contribution à l’occasion de ces deux cent cinquante ans à la vie de la nation et à notre République.

Chacun sait qu’en vos loges, la parole est hiérarchisée, structurée, organisée, légitimée par un lent et patient travail de la pensée, de l’écoute et du partage. Et c’est ainsi que se conduit la recherche de la vérité. Et à l’heure des réseaux sociaux, où les paroles indistinctes se mêlent et s’entremêlent sans hiérarchie ni distinction, nous l’évoquions tout à l’heure avec tous les risques que cela implique, ce modèle pourrait paraître anachronique. Mais si vous autorisez le profane que je suis à le dire, c’est un modèle qui, à l’évidence, n’est pas dénué de vertu. Vertu de la patience pour façonner une parole de raison porteuse de progrès, parole profondément attachée à la liberté de l’être humain. Et je crois aussi qu’au moment où ailleurs, ce sont les armes qui parlent en Europe et dans le monde et où, chez nous s’élèvent des voix de confusion, de haine, de déraison et de division, cette parole doit être plus forte et mieux entendue.

« L’histoire de la franc-maçonnerie, qui commence on ne sait quand véritablement, s’inscrit dans des temps lointains »

C’est ce qui motive, entre autres, ma présence ici parmi vous. Les deux cent cinquante ans du Grand Orient en sont naturellement l’occasion. Mais je sais que, s’agissant de l’histoire de la franc-maçonnerie, qui commence on ne sait quand véritablement, s’inscrit dans des temps lointains, empreinte aux grands mythes.

Les dates ne comptent guère. Seuls comptent, aujourd’hui comme hier, l’avenir et le progrès humain possibles. Votre nom même signifie cette attention à l’aube toujours recommencée de l’idéal. C’est donc de cet idéal et de cet avenir que je viens surtout parler aujourd’hui. Cet avenir se construit certes à la lumière d’un grand héritage.

Nous l’avons vu ensemble, tout à l’heure ; issue de ses compagnonnages d’Ecosse, d’Angleterre où des hommes éprouvés par la violence religieuse se sont retrouvés en laissant leur discorde à la porte des loges, de proche en proche, la franc maçonnerie devint un projet de société. Ce projet était celui des Lumières.

Elle transmit cette pensée de liberté et de raison, des salons aux provinces. La franc-maçonnerie est à cet égard la fille aînée des Lumières. Dans ses rites, bien sûr, où s’exalte l’éclat de la raison humaine, prompte à transpercer le fanatisme. Dans ses idées, surtout, elle tient l’homme comme la mesure du monde.

« L’homme comme la mesure du monde »

Elle consacre l’égalité entre les femmes et les hommes dans leurs facultés de jugement, dans leur égalité profonde, par-delà les origines ou la religion, dans leur perfectionnement possible et souhaitable par l’éducation, la culture, leur aspiration au progrès. Elle dit que l’humanité est une et que l’avenir peut être porteur d’espoir.

En 1773, dans des remous que je laisse à la sagesse de l’étude, le Grand Orient décida de s’appeler ainsi. Alors se noua le fil profondément français, si vous me le permettez, de la franc-maçonnerie, un fil qui, dès l’origine, présentait des traits propres à notre esprit national, le goût des distinctions et des hiérarchies.

Je sais que les grades ou les degrés dans leur complexité sont tenus pour être nés en France, bien qu’on les qualifie d’écossais, mais aussi et surtout un caractère profondément démocratique, marié à une ambition d’ordre. Avec la création du Grand Orient, les vénérables jusqu’alors propriétaires à vie de leurs charges, sont élus et les loges disséminées sur le territoire doivent désormais répondre à Paris. La centralisation, ici aussi, s’exerce.

Par une même réforme, étaient combattues l’inégalité naturelle et le poids excessif des particularismes, une lutte contre l’assignation au profit de la liberté et de l’unité, une œuvre de liberté et de concorde au-dessus du chaos et de la fatalité. La franc-maçonnerie française était constituée à l’image des desseins de la nation française, démocratique, méritocratique ; la franc-maçonnerie française est aussi universelle.

Dès le dix-huitième siècle, elle accueillait à égalité ceux que la société d’alors vouait aux places obscures : les frères de confession juive, ceux de couleur, les femmes au sein des loges dites d’adoption. Parmi elles – et comment pourrais-je l’oublier ? –, une ancienne propriétaire du palais de l’Elysée, Bathilde d’Orléans, sœur de Philippe-Egalité, grand maître du Grand Orient, et elle-même grande maîtresse, surnommée « citoyenne Vérité » à la Révolution.

Rien n’est plus émouvant que de lire ici, au sein du musée de la rue Cadet, les débats graves et pondérés où les loges discutent de l’acception des uns et des autres. Nous les avons recroisés tout à l’heure. Ces débats ont conclu toujours à l’égalité et à l’humanisme. Et ces lettres et ces mots sont toujours nos contemporains. Il exista dès cette époque une affinité élective entre la franc-maçonnerie et le combat pour la liberté qui deviendra combat républicain. Destins jumeaux, destins fraternels face à l’opposition cléricale et aux fractures de l’histoire du dix-neuvième siècle.

« L’apport de la franc-maçonnerie est une vérité historique »

Dans l’alternance des rois et des empereurs, la franc-maçonnerie finit par s’identifier au projet républicain, et la République s’éleva pierre à pierre. Qu’on ne s’y trompe pas, là encore, l’apport de la franc-maçonnerie est une vérité historique. Il n’y a ici ni complot ni dessein secret. Regardons face à nous, dans ce temple Groussier : la fresque à l’Orient représente une allégorie féminine. A ses côtés trônent des visages et des figures qui signifient la culture, l’espoir, les arts. Tout, dans ce décor, paraît familier à tout citoyen, à tout Français, parce que dans l’œuvre de ce frère, le frère Poisson, surgissent les contours de la statue de la Liberté de Bartholdi ou La Liberté guidant le peuple de Delacroix ; surgit l’ombre de Marianne, surgissent ces mots de Victor Hugo : « République universelle, tu n’es encore que l’étincelle. Demain, tu seras le soleil. » Surgit tout notre imaginaire français et républicain.

Et pendant des décennies, l’œuvre maçonnique et le combat républicain se rejoignirent pour presque se confondre. En témoigne cette Déclaration universelle des droits de l’homme, texte fondamental pour l’une et l’autre.

A la Révolution, les francs-maçons furent députés, soldats de leur idéal, mais aussi, hélas, à partir de 1793, victimes de la terreur robespierriste.

Sous l’Empire, leur œuvre fut consolidée. A la Restauration, des rois précédemment maçons tirèrent profit de leur engagement. Sous la seconde République, ce sont des maçons qui inspirèrent l’abolition de l’esclavage, tentèrent le partage du progrès matériel en combattant la misère, sœurs jumelles de l’obscurantisme. Et, sans qu’il puisse s’agir d’une coïncidence, les francs-maçons lui donnèrent sa devise ou prirent celle de la République, qui sait, « liberté, égalité, fraternité ».

Dans l’ombre que leur tendait leurs fausses légendes noires, la franc-maçonnerie formait cette république à couvert qu’évoquent les historiens, à couvert sous des toits les protégeant de la curiosité inquisitrice des autorités, puisque l’installation du Grand Orient rue Cadet date justement de cette période.

Oui, République à couvert. Car dans les banquets et les comices, dans les cercles de pensée et dans les mots d’avocat ou de journalistes, palpitait cet idéal attendant son heure. Vint la chute de l’Empire. Vint le gouvernement provisoire de Léon Gambetta, le décret Crémieux qui accorda enfin la citoyenneté aux Français juifs d’Algérie et permit leur émancipation républicaine.

« Tous n’étaient pas maçons, mais tous en défendaient les valeurs »

Je pourrais citer tant de noms du Grand Orient ou de la Grande Loge, mais nul besoin d’énumérer ici les pères fondateurs de notre République. Tous n’étaient pas maçons, mais tous en défendaient les valeurs. La franc-maçonnerie n’a pas fait à elle seule la République, mais la République, sans elle, ne se serait pas faite.

La franc maçonnerie fut l’atelier de la République, là où se poursuivait l’œuvre commencée dans le temple ; la Franc-maçonnerie donna à la République ses premières forces vives. Et à l’heure où le Parti républicain n’avait qu’une prise incertaine sur le pays que la monarchie menaçait de revenir, les francs-maçons furent dans nos villages, dans nos petites patries, ces commis-voyageurs de la République dont parlait Gambetta. Ils furent ces humbles militants pénétrés de l’idéal des Lumières, défendant la République face aux forces monarchistes comme face aux tenants de l’insurrection. La franc-maçonnerie donna à la République ses assises et son mouvement. Seule organisation civique d’importance face à l’Eglise, elle engendra presque à elle seule le Parti radical, dont les membres tinrent debout les murs de cette maison neuve qu’était alors la République.

Elle donna à la République non seulement cela, mais encore toute sa puissance spéculative qui procédait de l’activité intellectuelle des frères. Les loges de la raison furent les forges de nos lois. Lois de liberté avec la loi sur la liberté de la presse loi autorisant les syndicats, loi de liberté d’association de 1901, loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; les lois de Jules Ferry sur notre école publique et laïque ; mais loi aussi pour l’égalité, la fraternité, le progrès humain avec la réforme de l’assistance publique, la rédaction d’un code du travail confié à Arthur Grossier , futur grand maître, ou la création des premières mutuelles.

Toutes ces lois en écho du cri de justice, du cri contre la misère et l’oppression contre la loi du plus fort élevé en loi naturelle, ce cri de Gavroche et ce cri de l’enfant de Vallès… Tant de lois furent ici et ailleurs, initiées, imaginées, discutées grâce à elle. A travers elle, la République conquit les cœurs et les urnes malgré les tentatives factieuses, malgré un déchaînement d’antisémitisme qui prit Dreyfus pour victime et à travers lui, l’esprit de la République comme cible, puisque s’en prendre à un juif, c’est toujours aussi chercher à atteindre le projet politique qui le reconnaît, libre et égal, qui le reconnaît comme tel, c’est toujours chercher à atteindre la République. En 1896, comme un symbole, Léon Bourgeois devint président du Conseil à la tête de ce que l’on appela le gouvernement des loges.

« La nation qui nous instruit et nous construit »

Léon Bourgeois, à qui nous venons de rendre hommage, plaidait pour une société solidaire, car l’individu, disait-il, naissait débiteur d’une dette envers la société : un citoyen né avec des droits inaliénables mais aussi avec des devoirs, devoir d’engagement et de solidarité, devoir de se rendre redevable envers la nation qui nous instruit et nous construit.

Léon Bourgeois plaidait dès lors pour l’organisation rationnelle de cette solidarité afin de conjurer les injustices de destin. Quittant le gouvernement, il devint l’artisan de la Société des nations, reçut le prix Nobel de la paix. Car cette solidarité dans la nation existait pour lui à l’échelle du genre humain : la même dette envers les autres, ce même devoir d’être utile aux autres.

Rien des hasards de la naissance ou de l’arbitraire du cours de la vie ne devait séparer entre eux les femmes et les hommes, ni les origines, ni les frontières, car une vie vaut une vie. En cela, Léon Bourgeois ne portait pas seulement un projet franc-maçon. Il vouait ses forces à une ambition universelle et humaniste, d’affranchissement et de raison, de progrès et de paix.

Une ambition qui était alors profondément française et qui l’est toujours. Une vie vaut une vie. En 1899, vous le savez, au comble de l’affaire Dreyfus, fut érigée la statue de la République sur la place du même nom. L’un des témoins de cette liesse, de ce jour heureux de la nation, était Charles Péguy et, décrivant la foule se massant sur les boulevards, il énumère dans le détail les guildes et les confréries, les syndicats d’ouvriers ou d’horlogers qui la composent. Et il note alors, je le cite : « Comme c’est beau, un nom qui désigne les hommes, les groupes, sans contestation, sans hésitation, par le travail quotidien. On sait ce que c’est au moins qu’un forgeron ou un charpentier ? Je voudrais les citer tous car je ne sais comment choisir. » Eh bien, dès ce triomphe de la République, il faut citer, avec les forgerons et les charpentiers, les maçons.

Oui, à chaque fois que la République œuvra à l’amélioration de la condition matérielle et morale de l’humanité, la franc-maçonnerie française fut au rendez-vous. Les ennemis de la République ne s’y trompèrent pas. Le régime de Vichy bannit la franc-maçonnerie et spolia ses biens. Un film de propagande fut tourné, reproduisant le temple Corneloup .

Cinq cents francs-maçons furent assassinés en raison de leur appartenance et tant d’autres moururent pour défendre la patrie des Lumières. Je pense à Jean Zay, ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts. Il fut dans notre histoire l’un de ceux qui bâtit une école de l’émancipation et de la liberté. Il bâtit cette école comme un rempart aux forces de la haine dont il fut lui-même le martyr. Il bâtit une école dont tous nous sommes les héritiers et dont nous devons tous être les gardiens.

Après la guerre, la franc-maçonnerie poursuivit son œuvre, dans le silence et la pénombre où par tradition, par souvenir des persécutions aussi, elle se maintient. Et la cause des femmes doit beaucoup à leur œuvre.

« Je pense au combat mené pour l’interruption volontaire de grossesse »

Je pense au combat mené pour l’interruption volontaire de grossesse, un combat où lutta de haute lutte Pierre Simon de la Grande Loge de France. Je pense aussi au rôle éminent qu’y joua le sénateur Henri Caillavet, rapporteur de la loi de Simone Veil, comme son action fut déterminante en faveur d’autres causes, toujours au nom d’une société où les choix éclairés des individus sont permis et reconnus. Le combat pour la cause des femmes contient tous les enjeux qui nous réunissent aujourd’hui. L’obscurantisme à cet égard n’a pas disparu. Il revient, il renaît. C’est pourquoi j’ai souhaité l’inscription dans notre Constitution de la liberté pour les femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse face à de grands périls.

Nous devons assurer le progrès et la permanence. Nous devons conserver ce que chaque époque a conquis de meilleur pour le transmettre. C’est, je le crois, le sens de toute aventure humaine, celui de toute aventure de pensée. C’est le sens même de la marche d’une nation. Et à travers ces combats, à la lumière d’aujourd’hui, ayant cherché de manière trop rapide à dire votre contribution à l’édification et la consolidation de la République et la vie de notre nation, permettez-moi de conclure mon propos par l’évocation de trois défis, plus particuliers.

Le premier concerne le rôle des francs-maçons. Aujourd’hui où les francs-maçons n’ont jamais semble-t-il été aussi nombreux, certains déplorent la faiblesse de leur influence, leur perte de pouvoir. La presse, si prompte à les compter, en a oublié ses inventaires marronniers. La chasse aux frères invisibles, suspects de tous les maux, est close, et c’est tant mieux. J’ai dit ce que ce compagnonnage avait eu de fructueux et surtout de contingent, tenant aux conditions mêmes de la naissance de la République en France. Mais à l’ère du soupçon ne doit pas succéder l’ère de l’effacement. Il faut conserver le lien vivant entre République et franc maçonnerie, comme doit demeurer le lien entre République et religion, car la loi de 1905 est loi de séparation et pas d’effacement, elle est loi de liberté et pas de contestation. Et ce dialogue ne doit pas simplement concerner la République, mais toute la société.

Et je sais combien d’entre vous sont engagés à cet égard et ne m’ont pas attendu, mais jamais une société discrète ne doit devenir ou donner le sentiment d’être une société muette. Je sais bien que les différentes obédiences, en effet, ne m’ont pas attendu pour prendre part aux combats de l’époque en faveur de la laïcité, du droit des femmes, de la solidarité internationale avec l’Ukraine… tant d’autres.

Je pense notamment aussi au droit de mourir dans la dignité, porté en son temps, là encore, par Henri Caillavet ou Pierre Simon. Une cause qui doit trouver, comme je l’ai promis, une traduction dans une loi de liberté et de respect. Et je vous remercie pour la contribution que vous avez produite en lien avec le gouvernement qui va nous permettre de faire cheminer dans les prochains mois ce texte.

Et je crois plus encore aujourd’hui qu’il nous faut ensemble nous remettre à la forge et retrouver le sel de cet engagement premier. Vous m’avez lancé un défi, si je puis dire, tout à l’heure, en parlant d’un programme qui est celui même de notre République. Je voudrais vous lancer presque le même en parlant d’une action au corps à corps dans la société qui doit retrouver la vigueur et le caractère libre et direct de ceux des premiers temps de notre République. Je crois que ce sera utile à la nation et à la République.

Le deuxième défi, c’est que la franc-maçonnerie doit s’ancrer dans une époque qui lui ressemble peu. Rien n’est plus étranger au goût contemporain que la quête de connaissance de soi et de l’autre, de l’émancipation et de l’affranchissement, de la sérénité et de la concorde qui prévalent dans le temple. L’air du temps déteste ce temps suspendu de la parole et de la tenue. Nos temps sont ceux de la volonté de revanche, de l’identitarisme, du fanatisme, du complotisme. Eh bien précisément, prenez ma présence parmi vous aujourd’hui et ces mots comme une invitation à demeurer intempestifs. Ne cédez pas, car nous en avons besoin à ces modes du temps. Je pense qu’aujourd’hui plus encore qu’hier, la maïeutique qui seule permet à la raison de triompher sur les émotions, le temps suspendu qui seul permet à une société de sortir de la solitude et du fracas des paroles dans laquelle nous sommes plongés aujourd’hui, ce rôle est plus que jamais utile.

C’est évidemment celui que l’école de la République enseigne, que notre nos universités transmettent et doivent continuer de transmettre, que nous voulons inculquer plus largement. Mais vous jouez ce rôle existentiellement et profondément, car nos combats refont surface.

Et aujourd’hui aussi, l’antisémitisme refait surface, vous l’avez évoqué, dans les mots, sur les murs, il s’affiche sans crainte et sans honte. Et à cet égard, je veux ici être définitif. La République ne transige pas et ne transigera pas et nous serons impitoyables face aux porteurs de haine. Mais derrière cette haine antisémite il faut voir ce qui s’y trouve aussi : la haine des juifs, la haine des francs-maçons procèdent du même élan, sont deux préludes, deux prétextes à la haine de la République. Et je le répéterai sans cesse, là où l’antisémitisme entend s’installer, prospèrent avec lui toutes les autres formes de racisme et de haine identitaire, très rapidement. Et veillons à toutes les confusions dans une époque où les uns préfèrent rester ambigus sur la question de l’antisémitisme par souci de flatter de nouveaux communautarismes, et les autres prétendent soutenir nos compatriotes de confession juive en confondant le rejet des musulmans et le soutien des juifs, en refusant, ceux-là même, de condamner clairement leurs positions passées et tous les mots définitifs d’hier. Il n’y a pas de lutte véritable contre l’antisémitisme sans un réel universalisme, qui voit dans chaque citoyen un être de droit et de devoir, appartenant pleinement, totalement à la République et la nation.

« Rassembler ce qui est épars »

Et nous savons, vous savez, que les francs-maçons en seront, comme d’autres, des cibles évidentes. Dans cette époque en proie à la déraison, votre parole de raison a une place essentielle. Alors que les séparatismes et les fanatismes tentent de fissurer la nation, visant au chaos, au mépris parfois de leurs engagements passés ici même, il nous faut à nouveau pouvoir compter sur des soldats de l’idéal, prompts à rassembler ce qui est épars.

Il nous faut restaurer l’autorité, la civilité, l’harmonie. Et ce n’est pas un combat que la République peut mener seule. Ce combat pour l’unité est à reconquérir et à reprendre chaque jour par la démonstration, en paroles et en actes, par cette capacité à renouer le fil de la parole, à sortir des différences, des assignations à résidence dans lesquelles une époque qui n’est soumise qu’aux émotions et à la solitude, immanquablement renfermera les uns et les autres.

La réponse, vous le voyez, n’est dans aucun communautarisme. Elle est dans cet universalisme qui suppose cette maïeutique.

Le troisième défi, enfin, est que la grande idée de la franc-maçonnerie, celle de l’homme et du progrès, court un grand péril. Nous avons vécu en imaginant que la sombre prophétie de Michel Foucault sur la modernité, cette idée de l’homme qui s’effacerait, comme à la limite de la mer s’efface un visage de sable, que cette idée était excessive. En sommes-nous toujours si sûrs… Aujourd’hui, le risque existe de l’asservissement de l’homme par l’écran, de l’esprit humain par ses répliques artificielles, des peuples libres par de nouvelles forces totalitaires, des opinions éclairées par de puissants mouvements de haine, de notre civilisation industrielle par ses propres excès.

Il existe une crise profonde et structurelle, une crise de l’esprit et de l’espoir humaniste face aux grandes bascules technologiques, géopolitiques et climatiques. Je crois qu’il faut justement dans cette période renouer le fil d’un humanisme français et européen qui tiennent ensemble la liberté, l’égalité et la fraternité, qui conjugue progrès et écologie, progrès et régulation du numérique, progrès et réinvention démocratique, progrès et justice sociale.

« Les chaînes des dogmes… »

Un projet dont vous façonnez la forme dans vos cercles depuis deux cent cinquante ans… Celui qui fait l’homme libre en déliant les chaînes qui tiennent sa raison, les chaînes de l’assignation identitaire, les chaînes des intérêts sociaux, les chaînes des malheurs privés et de la pauvreté, les chaînes des dogmes et des asservissements politiques, chaînes des fatalités et des événements.

Ce sont ces chaînes qu’il faut briser, et d’autres liens se nouer au sein de l’école de la nation, d’une société apportant le progrès réel et l’élévation sociale d’un monde fondé sur les règles et le droit qu’il faut au contraire faire vivre.

Mesdames et Messieurs, aussi longtemps que la franc maçonnerie sera au travail, la République sera en éveil.

J’ai tâché ici de redire vos mérites, votre histoire et votre haute contribution à la France et à notre République. Mais aussi de dire quelques-uns de nos défis communs qui supposent de reprendre la bataille des idées et de défendre avec force, audace, les méthodes et les principes qui sont les vôtres.

Conservons ce lien séculaire sans embarras et sans excès, dans le plein respect de nos valeurs respectives, sans les confondre, mais en joignant leurs forces. Si je puis me permettre, j’ai dit. Vive la République et vive la France !

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L'immigration en question

Rédigé par hamlet le 07 décembre 2022

Pierre  Brochand, ancien directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) de 2002 à 2008, ainsi qu’ambassadeur de France, notamment, en Hongrie et en Israël, est intervenu lors d’un colloque de la Fondation Res Publica sur le thème: «Pour une véritable politique de l’immigration». Extrait.

[…] Vous m’avez demandé de parler d’immigration et j’ai suggéré qu’on ajoute « enjeu central ». J’aurais pu aussi bien proposer « enjeu principal ». 

Pour deux raisons :
  • D’un côté, j’estime que, de tous les défis qu’affronte notre pays, l’immigration est le seul qui menace la paix civile et, à ce titre, j’y vois un préalable à tous les autres.
  • D’un autre côté, l’immigration exerce sur l’ensemble de notre vie collective un impact transversal, que je tiens pour globalement négatif.
Mais, faute de temps, je négligerai ce second aspect, qui se traduit concrètement par une tiers-mondilisation rampante de la société française et sa régression continue dans des domaines clés, tels que l’éducation, la productivité, les services publics, la sécurité, la civilité, etc. 

En d’autres termes, si tout ce qui va mal en France n’est pas la faute de l’immigration, loin s’en faut, elle y participe dans une mesure, à mon avis, très sous-estimée.[…] 

Commençons par tordre le cou au « canard », selon lequel la France aurait toujours été un pays d’immigration. Pendant 1000 ans, des Carolingiens à Napoléon III, rien ne s’est produit. Depuis 1850, en revanche, nous avons connu trois vagues :
  • La première a duré un siècle. D’origine euro-chrétienne, discrète, laborieuse, reconnaissante, régulée par l’économique et le politique, elle a représenté un modèle indépassable de fusion réussie.
  • La deuxième a commencé dans les années 1970 et n’a fait que s’amplifier depuis. Elle est l’exact contraire de la première.C’est une immigration de peuplement irréversible, qui n’est calibrée ni par l’emploi, ni par le politique, mais engendrée par des droits individuels, soumis au seul juge national ou supranational. Nous sommes, donc, submergés par des flux en pilotage automatique, « en roue libre », dont les Français n’ont jamais explicitement décidé. Mais, surtout, l’écart identitaire qui nous sépare des arrivants n’a aucun équivalent dans notre Histoire. Tous viennent du «tiers-monde», de sociétés hautement défaillantes, et la majorité est de religion musulmane, ainsi qu’originaire de nos anciennes colonies. De plus, tous sont, comme on le dit aujourd’hui, « racisés ».
  • La troisième lame a été déclenchée, il y a 10 ans, par le soi-disant « Printemps arabe », dont elle est une des conséquences néfastes. C’est pourquoi elle a d’abord pris la forme d’une crise d’urgence, rapidement devenue permanente, sous l’impulsion d’un nouveau dévoiement du droit, cette fois le droit d’asile, au besoin conforté par le droit de la mer et celui des mineurs.[…]
On n’a pas compris grand-chose à l’immigration actuelle si l’on n’a pas perçu d’emblée qu’elle était virtuellement conflictuelle, que ces conflits n’étaient pas quantitatifs mais qualitatifs – donc insolubles – et qu’ils s’inscrivaient, in fine, dans le très douloureux retour de bâton anti-occidental, déclenché par la globalisation. […]

Quand un groupe humain projette d’emménager chez un autre, il n’y a que cinq possibilités :
– (1) L’interdiction
– (2) L’absorption
– (3) La négociation
– (4) La séparation
– (5) L’affrontement

L’interdiction est tout simplement la mise en œuvre du « principe de précaution », que l’on invoque, à satiété, dans quasiment tous les domaines. Sauf apparemment celui de l’immigration, où il aurait pourtant consisté à bâtir une digue avant que n’arrive le tsunami. Autant dire qu’un projet aussi volontariste ne nous a même pas traversé l’esprit.

L’absorption ou assimilation, par ralliement asymétrique et sans retour à la culture d’accueil, fut longtemps notre paradigme. Nous l’avons abandonné en rase campagne, par renoncement à nous-mêmes, mais aussi par nécessité, car les volumes que nous avons admis ont très vite excédé ce seuil très exigeant.C’est pourquoi, nous avons cru pouvoir nous rabattre sur l’option 3. 

La négociation ou l’intégration est, en effet, une position intermédiaire, où chacun fait un pas vers l’autre, mais où les immigrés gardent leur quant à soi : un pied dedans, un pied dehors. En bref, un compromis qui n’efface pas les divisions, mais espère les transcender par accord tacite sur une plateforme minimale : le respect des lois et l’accès à l’emploi. Cependant, en pratique, il s’avère que le plus gros des efforts est à la charge du groupe qui reçoit – c’est-à-dire nous -, aussi bien en termes financiers (politique de la ville, protection sociale), que de dérogations à nos principes (discrimination positive, mixité imposée, quotas).

Au final, certes, les intégrés sont plus nombreux que les assimilés, car le seuil de tolérance est plus élevé dans leur cas. Pour autant, ils ne sont pas majoritaires et je crains, surtout, que le contrat implicite, passé avec eux, ne soit qu’un CDD, susceptible de ne pas être renouvelé à échéance, si les circonstances changent et, notamment, si les immigrés et descendants franchissent – ce qui est inéluctable en prolongeant les tendances actuelles – la barre des 50% de la population.

Ainsi, ces résultats, pour le moins mitigés et ambigus, ont ouvert un boulevard à l’option 4 : la séparation, qui, dans les faits, est la preuve par neuf de l’échec des trois précédentes. Car, au fond, le scénario sécessionniste est la pente la plus naturelle d’une société « multi ». Quand des groupes répugnent à vivre ensemble, ils votent avec leurs pieds, se fuient, se recroquevillent, comme autant de répliques du séisme initial qu’est la migration. Se constituent, alors, ce qu’on appelle des diasporas, soit des noyaux durs introvertis, formés de populations extra-européennes, ni assimilées, ni intégrées et à tendance non coopérative.

Ces isolats territoriaux vont inéluctablement développer une double logique de partition et d’accélération. Partition, par inversion de la pression sociale, dans le sens de la conservation et de la transmission des codes culturels d’origine, y compris – ce qui est stupéfiant – à travers la réislamisation des jeunes. Soit une espèce de contre-colonisation, par le bas, qui ne dit pas son nom. Accélération, car les diasporas, dont le taux d’accroissement naturel est déjà très supérieur à la moyenne nationale, deviennent, à leur tour, génératrices d’immigration par aspiration juridique et aide à l’accueil. […]

Tous ces arrangements au quotidien ont beau se multiplier, ils ne suffisent pas à acheter la paix sociale et c’est alors que « ce qui doit arriver arrive » : quand plusieurs pouvoirs sont en concurrence ouverte, sur un même espace, pour y obtenir le monopole de la violence mais aussi des cœurs et des esprits, c’est le 5e cas de figure qui se réalise. L’affrontement. Ce que l’on désigne pudiquement par l’expression « violences urbaines » et dont on connaît bien la gamme ascendante. […]

Il y a deux préconditions à l’action : la transparence statistique et le rejet du discours intimidant. Si l’on veut s’attaquer à un problème, il est indispensable d’en cerner la dimension réelle. Or l’appareil statistique, centré sur le critère de la nationalité, ne permet pas d’évaluer toutes les répercussions d’un phénomène qui lui échappe largement. 

C’est pourquoi, il est impératif de nous orienter vers des statistiques et projections dites «ethniques», dont l’interdiction n’est qu’une hypocrisie et une coupable préférence pour l’ignorance, donc le statu quo.

Quant au discours intimidant, c’est l’incroyable prêchi-prêcha que nous servent les médias, les ONG, les « people », et dont la seule finalité est d’organiser l’impuissance publique. Ces éléments de langage, que l’on nomme à tort « État de droit », ne sont, à mes yeux, que le reflet d’une idéologie qui, à l’instar de toutes les idéologies, n’a rien de sacré. À ceci près qu’elle est dominante depuis 50 ans. […]

L’immigration – il est facile de le comprendre – fonctionne comme une pompe qui refoule d’un lieu et aspire vers un autre. Nous ne pouvons rien, ou presque, pour empêcher le départ. Nous pouvons tout, ou presque, pour décourager l’arrivée.

D’où 6 grands axes :
  1. Envoyer, urbi et orbi, le message que le vent a tourné à 180°, en s’attaquant bille en tête à l’immigration légale, qu’il convient de diviser au moins par 10.
  2. Trancher à la même hauteur l’accès à la nationalité, qui doit cesser d’être automatique.
  3. Contenir l’immigration irrégulière, en divisant par 20 ou 30 les visas, y compris étudiants, accordés aux pays à risques, en n’acceptant plus aucune demande d’asile sur notre territoire, en abolissant toutes les récompenses à la tricherie (aide médicale d’Etat, hébergement, régularisations, débarquement de navires « sauveteurs »).
  4. Atténuer l’attractivité sociale de la France, en supprimant toutes les prestations non contributives aux étrangers, HLM compris, et en limitant à 3 enfants, par famille française, des allocations familiales, revalorisées sans conditions de revenus.
  5. Dégonfler les diasporas, en réduisant les types, durées et nombres de titres de séjour et en excluant les renouvellements quasi-automatiques.
  6. Muscler notre laïcité « chrétienne » pour l’adapter au défi très différent de l’islam, en ne neutralisant plus seulement l’Etat et l’école, mais aussi l’espace public, les universités et le monde de l’entreprise.
Si ces propositions s’inscrivent dans le cadre du droit existant, tant mieux, sinon il faudra le changer, quel qu’en soit le prix. Car le retournement proposé relevant désormais du salut public, sa férocité n’est que la contrepartie du temps perdu. […]

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Actualité de Nicolas de Hannappes

Rédigé par hamlet le 02 septembre 2018

Jean-Pierre Maugendre rappelait à nos mémoires l'histoire inspirante de Nicolas de Hannappes pendant le siège de Saint Jean d'Acre, posant les bases d'un partage des responsabilités entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. Histoire éminemment instructive, et qu'il est possible d'étendre par uchronie à la gestion des situations sans solution rationnelle.



Le 18 mai 1291, la ville fortifiée de Saint-Jean-d'Acre, ultime port croisé ayant résisté aux assauts des Mamelouks, tombait sous les assauts des troupes du sultan Al Ashraf Khalil. Cette chute marquait la fin de l'aventure des croisades en Orient. Parmi les nombreuses victimes se trouvait le patriarche latin de Jérusalem, Nicolas de Hannappes, religieux dominicain originaire des Ardennes. 

Voici ce qu'écrivait Jean-Pierre Maugendre, dans un article datant de 2016 paru sous le titre "Actualité de Nicolas de Hannapes" :

Pendant toute la durée du siège il avait été héroïque, soutenant le courage et l'ardeur des combattants. À l'heure de la fin, il avait embarqué à bord d'un navire mais, ne pouvant se résoudre à abandonner ses ouailles à leur triste sort, il avait exigé que l'on continuât d'accueillir à bord de son embarcation les fidèles qui fuyaient la ville assiégée. Le vaisseau surchargé finit par sombrer, entraînant dans l'abîme et la mort son équipage, les passagers et le patriarche lui-même.
 

Est-il incongru d'observer que le patriarche, ainsi mu par une compassion aussi puissante que désordonnée, n'avait fait, concrètement, qu'ajouter du malheur au drame en cours ? Quelles leçons tirer de ce tragique événement ? 

La responsabilité des autorités politiques

À bord d’un navire, le responsable devant Dieu et les hommes en est le commandant et pas l’aumônier ni le passager aussi prestigieux et titrés soient-ils. C’est le commandant qui connaît le nombre de personnes que son embarcation peut embarquer. Analogiquement ce sont les autorités politiques et non les autorités ecclésiastiques qui sont en charge de mesurer quelle part de « nouveaux arrivants » peuvent supporter les nations dont elles ont la responsabilité. Le rôle de l’Église est simplement d’exhorter à la générosité comme le fit par exemple Pie XII en 1948 s’adressant aux évêques américains : «La domination de chaque nation bien qu'elle doive être respectée ne peut être exagérée au point que, si un endroit quelconque de la terre offre la possibilité de faire vivre un grand nombre d'hommes, on n'en interdira pas, pour des motifs insuffisants et pour des causes non justifiées l'accès à des étrangers nécessiteux et honnêtes , sauf s'il existe des motifs d'utilité publique, à peser avec le plus grand scrupule ». 

La prudence, vertu politique

La prudence qui est l'appréciation raisonnable des faits est, par excellence, la vertu des chefs. Il n'est pas demandé à une idée d'être généreuse mais d'être juste, c'est-à-dire conforme à la réalité des faits. Notre erreur, cruelle, serait de croire que la bêtise est inoffensive. Concernant l'immigration extra-européenne qui déferle sur notre continent, la prudence recommanderait de ne laisser pénétrer sur notre sol que des populations disposées à s'intégrer à notre civilisation, effectivement victimes de persécution dans leurs pays et en nombre suffisamment faible pour qu'elles soient assimilables. 

La prise de décision juste n'est pas réductible aux grands principes, si généreux soient-ils en apparence, déconnectés de la réalité. Le nombre de passagers que peut embarquer le navire dépend, aussi, de l'état de la mer. Quand Nicolas Sarkozy déclarait à Sofia, le 5 octobre 2007 : «Chaque fois que quelqu'un est humilié, est persécuté, est opprimé, il devient automatiquement Français», la consternation du lecteur le disputait alors à la commisération. 

Nous sommes en guerre

De plus est-il utile de rappeler qu'une partie du monde musulman, en particulier sunnite, nous a déclaré la guerre ? Une réalité s'impose : il n'est pas impossible que parmi les réfugiés musulmans sunnites issus du Moyen-Orient se soient glissés quelques terroristes islamistes. Le souci de cohérence exige que les actions suivent les déclarations et qu'après avoir pris acte de l'état de guerre dans lequel nous nous trouvons les autorités politiques et ecclésiastiques en tirent les conséquences logiques. 

Le catéchisme de l'Église Catholique le rappelle justement § 2241 : «Les nations mieux pourvues sont tenues d'accueillir autant que faire se peut l'étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu'il ne peut trouver dans son pays d'origine. (…) Les autorités politiques peuvent en vue du bien commun dont elles ont la charge subordonner l'exercice du droit d'immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l'égard du pays d'adoption. L'immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d'accueil, d'obéir à ses lois et de contribuer à ses charges.» 

Forts de cet enseignement nous voilà habilités à rappeler à tous les héritiers spirituels, l'abnégation et le dévouement en moins, de Nicolas de Hannappes – ecclésiastiques dévoyés ou idéologues déracinés –, que nous ne laisserons pas le navire qui porte le beau nom de France être submergé au-delà de ses capacités d'accueil par des populations qui, loin de fuir le joug islamique, en sont, aujourd'hui, trop souvent les complices. 

Jean-Pierre Maugendre





Il n'est pas interdit, même à ceux qui comme moi portent une immense estime à Jean-Pierre Maugendre, dont la réflexion porte la marque d'un solide bon sens, d'imaginer un sort moins tragique aux passagers de Saint Jean d'Acre.

En effet, pendant ce siège, certains autres navires ont réussi à s'échapper par la mer, et à atteindre Chypre. Si ce dernier bateau a sombré, ce n'est pas seulement parce qu'il était surchargé, mais aussi parce que la mer était mauvaise. Tous les marins vous diront la traîtrise de la mer méditerranée.

Puisque le navire a coulé, les exigences du Patriarche apparaissent comme criminelles. Mais si le navire avait fluctué sans mergiter, ce même Patriarche aurait été porté en triomphe. Une partie de la morale de cette histoire est donc déterminée par la survenue d’événements dont la survenance n'était pas certaine, mais simplement évaluables en terme de probabilités.

Trois éléments sont à considérer. Tout d'abord, le champs des responsabilités. Sur le navire, le Capitaine est seul maître après Dieu, selon l'expression consacrée. Puis la doctrine d'emploi des matériels, qui fixe une capacité d'emport au bateau. Enfin, le jugement prudentiel, appuyé sur l'expérience des marins qui savent au vent et à l'aspect des nuages, quel est l'état de la mer. Ce jugement prudentiel permet si nécessaire, d'outrepasser la doctrine d'emploi, en fonction de l'équilibre risque/bénéfice de l'action envisagée. On pourrait presque y ajouter un quatrième élément, la chance, critère indispensable à Napoléon et à beaucoup d'autres chef de guerre, la fortune d'un Bournazel au burnous écarlate, ou la baraka d'un Général au Petit-Clamart.

Ce 18 mai 1291, donc, le Patriarche a pris la responsabilité d'exiger du Capitaine un appareillage dangereux, tandis que le Capitaine a pris la décision (ou a cédé ?) d'accepter une injonction illégitime du Patriarche. Tous deux connaissaient leurs domaines d'autorité réciproques. Tous deux connaissaient les limites techniques d'utilisation du matériel, du moins le Capitaine a informé le Patriarche de cette donnée technique simple. Reste que tous deux, dans cette décision, ont posé un jugement prudentiel difficile à étayer : l'état de la mer ne laissait probablement pas envisager un naufrage imminent, et les deux protagonistes ne disposaient pas d'informations météorologiques autres que celle liées à l'observation du ciel et de la direction du vent. Les techniques actuelles sont tout de même beaucoup plus précises.

Tous deux ont été sanctionnés par Neptune et Éole, faisant du Capitaine un faible ou un lâche, et du Patriarche un ultra-orthodoxe ou un intégriste, et ce sont les poissons, qui ont dévorés leurs rêves d'égaler Ulysse ou de vibrer d'une ferveur égale à celle des Apôtres.

Mais tout fut perdu, fors l'honneur : c'est leur réunion dans la mort, qui sauve l'honneur des deux protagonistes. En effet, qui pourrait formuler une condamnation définitive de l'un ou de l'autre ? La seule chose qui était nécessaire était qu'ils embarquassent sur la même barcasse, ce qui était la manière la plus simple et la plus franche d'assumer leurs décisions : partager absolument le sort de ceux dont ils avaient la charge. C'est cela, assumer.

C'est dire à quel point le monde politique trouverait profit à méditer l'histoire de Nicolas de Hannapes...


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Le Duc d'Aumale, général à 21 ans, prend la Smala dAbd-el-Kader

Rédigé par hamlet le 19 décembre 2017

Après la prise d’Alger par les troupes françaises du général de Bourmont, le 5 juillet 1830, une longue et pénible campagne de pacification fut entreprise, marquée, entre autres anecdotes guerrières, par la fameuse bataille de la Smala d’Abd-el-Kader. Un article épique de José Castano, avec quelques emprunts à Wikipedia.  



On entend par smala, une réunion de tentes abritant un peuplement sous l’autorité exclusive d’un « chef de clan arabe ». Plus qu'un campement, la smala est une véritable capitale itinérante de quelque 30 000 personnes, composée d’hommes de toutes conditions, de femmes, d’enfants et de cinq mille combattants armés, fantassins et cavaliers.

La smala avait passé la fin de l’hiver 1843 à deux journées de marche au sud de Takdempt. Instruite qu’on était à sa poursuite, elle erra pendant quelque temps et se trouva le 16 mai à la source de Taguin.

Nommé gouverneur général de l’Algérie en décembre 1840, le général Bugeaud menait une politique de conquête totale et de colonisation de l’Algérie en n’ayant de cesse de poursuivre Abd-el-Kader, qui avait proclamé la « guerre  sainte » contre « l’occupant français ».Bugeaud avait été informé de la présence de la smala aux environs de Boghar. Il donna ordre au général Lamoricière ainsi qu’au général de brigade, Henri d’Orléans, prince d’Orléans, duc d’Aumale, de se mettre à sa poursuite.

Ce quatrième fils du roi Louis-Philippe, né à Paris le 16 janvier 1822 était âgé de vingt et un ans. Il avait fait ses premières armes en 1840 comme chef de bataillon au 4e régiment d’infanterie légère, puis comme lieutenant-colonel au 24e de ligne. Quand il avait été mis sous les ordres du général Bugeaud pour la première fois, le duc d’Aumale lui avait écrit le 25 juin 1841 : « Je vous prierai, mon général, de ne m’épargner ni fatigue ni quoi que ce soit. Je suis jeune et robuste et, en vrai cadet de Gascogne, il faut que je gagne mes éperons. Je ne vous demande qu’une chose, c’est de ne pas oublier le régiment du duc d’Aumale quand il y aura des coups à recevoir ou à donner ». A cela Bugeaud avait répondu non sans grandeur : « Vous ne voulez pas être ménagé, mon prince, je n’en eus jamais la pensée. Je vous ferai votre juste part de fatigues et de dangers, vous saurez faire vous-même votre part de gloire ».

Le 13 mai 1843, le duc d’Aumale qui désirait se rendre digne de son frère aîné (décédé peu de temps avant) et des commandements que sa naissance lui avait fait donner, partit de Boghar avec 1 300 fantassins et 600 cavaliers commandés par les deux plus beaux sabreurs de l’armée, le lieutenant-colonel Morris et le lieutenant-colonel Yousouf (nommé à ce grade par le roi aux Spahis d’Oran), devenu chef des spahis indigènes.

Trois jours après, il apprit que la smala se trouvait à 80 kilomètres au sud de Goudjila. Pour l’atteindre, il fallait franchir vingt lieues d’une traite sans une goutte d’eau. Alors que les soldats étaient à la recherche de la source de Taguin pour se désaltérer, le prince fut informé de la présence inattendue de la smala à cette même source et décida de s’y rendre avec sa seule cavalerie.

Abd-el-Kader était absent, ainsi que ses principaux lieutenants, mais leurs familles étaient là. Le 16 mai, les cavaliers français se présentèrent en vue de l’imposant campement. Qu’allait devoir faire le jeune duc ? Attendre l’arrivée des fantassins ou se risquer à engager, à six cents, le combat contre un ennemi redoutable et dix fois supérieur en nombre ? La tentation était cependant trop forte…

Confiant en la qualité guerrière de ses hommes, il ne tergiversa point et s’écria : « En avant ! ». Et, le sabre au poing, il mit sa monture au galop, imité en cela par ses hommes.Toute la cavalerie s’élança alors, répartie en trois groupes : l’un à gauche, commandé par le lieutenant Delage, le second au centre, ayant pour chef le lieutenant-colonel Morris, le troisième à droite, sous les ordres du capitaine d’Epinay, le lieutenant-colonel Yousouf demeurant aux côtés du duc.

Aussitôt le combat s’engagea avec les fantassins arabes. La cavalerie des Ilachems, tous parents de l’émir, se jeta à son tour dans cette mêlée confuse et meurtrière où l’on ne faisait pas de quartier. Enfin, le combat cessa dans une panique indescriptible et une fuite générale de la populace… Les arabes perdirent trois cents des leurs dans cette bataille épique et on dénombra neuf tués et douze blessés du côté français.

La smala d’Abd el-Kader, capitale mobile de l’empire nomade de l’émir venait d’être conquise. 

Outre le dépôt militaire, cela représentait une agglomération considérable vivant sous la tente et gardée par cinq mille soldats réguliers. Il y avait là toutes les richesses de l’émir, sa famille, son harem, ses archives, son trésor de guerre, ses ateliers de tous corps de métiers, ses provisions, ses armes, ses troupeaux, des otages de tous ordres et un nombre considérable d’esclaves pour servir et faire vivre un aussi gigantesque campement. Le peintre Horace Vernet, qui représenta la scène dans l’immense tableau du musée de Versailles, fit figurer Yousouf en bonne place.

Un des innombrables prisonniers dira à l’issue de la bataille : «  Quand nous pûmes reconnaître la faiblesse numérique du vainqueur, le rouge de la honte couvrit nos visages car si chaque homme de la smala avait voulu combattre ne fût-ce qu’avec un bâton, les vainqueurs eussent été les vaincus mais les décrets de Dieu ont dû s’accomplir ». Un des bons soldats d’Afrique, Charras, écrira à propos de ce hardi coup de main : « Pour entrer avec 600 hommes au milieu d’une pareille population, il fallait avoir vingt et un ans, ne pas savoir ce que c’est que le danger ou bien avoir le diable au ventre. Les femmes n’avaient qu’à tendre les cordes des tentes sur le chemin des chevaux pour les faire culbuter et qu’à jeter leurs pantoufles à la tête des soldats pour les exterminer tous depuis le premier jusqu’au dernier ».

Cette fois, la guerre semblait finie. Le 31 juillet 1843, Louis-Philippe éleva Bugeaud à la dignité de Maréchal de France et nomma le duc d’Aumale gouverneur de la province de Constantine… avant qu’il ne succédât à Bugeaud comme gouverneur de l’Algérie.

La prise de la smala eut une influence considérable sur la suite des opérations militaires contre l’émir. Elle condamna celui-ci à l’errance perpétuelle sur les confins algéro-marocains pour tenter d’échapper aux colonnes françaises… jusqu’au 23 décembre 1847, date à laquelle l’émir se décida à revenir en Algérie où il demanda l’aman (faire sa soumission) au colonel de Montauban représentant le général Lamoricière, à Sidi-Brahim, là, précisément, où il avait remporté une de ses plus grandes et plus cruelles victoires. Il fut exilé, à la demande de Louis-Philippe, à Pau puis au château d’Amboise avant d’être libéré et de partir pour l’exil. 

José CASTANO

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Rafle du vel d'hiv : à qui profite le crime ?

Rédigé par hamlet le 16 juillet 2017

Les gouvernements recyclent l'histoire selon leurs intérêts et les contraintes qu'il subissent, jusque dans la promulgation de lois mémorielles qui sont un scandale pour tout historien. La tragédie du Vel d'Hiv en est un exemple particulièrement significatif.  



Ce 16 juillet 2017, Emmanuel Macron et Benjamin Netanyahou, Premier ministre israélien, concélèbrent le 75ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv. A cette occasion, le Président de la République proclame que selon lui, «c’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation et donc, pour presque tous, la mort des 13152 personnes de confession juive arrachées les 16 et 17 juillet [1942] à leur domicile»

 

Le Président français adopte ici une position inverse de celle que tenait le général De Gaulle. En effet, ce dernier considérait que le régime de Vichy n'était qu'une "autorité de fait", et que le seul gouvernement légitime était celui de la France Libre, à Londres. A ce titre, il s'était refusé à reconnaître la responsabilité de la France dans cette rafle.


Le droit donne raison au Général. En effet, la loi constitutionnelle de 1875 prévoit de pouvoir accorder au Parlement le droit de réviser la Constitution, mais ne l'autorise pas à déléguer ce pouvoir. Ainsi, le 10 juillet 1940, le vote des pleins pouvoirs constituants au Maréchal Pétain, bien que ratifié par 88% des parlementaires (649 sur les 846 ayant pris par au vote, 50% de gauche, 42% de droite et 8% sans étiquette), était-il entaché d'inconstitutionnalité. De Gaulle, s'appuyant sur les analyses de René Cassin, a contesté la légitimité de l'État Français dès le 27 octobre 1940, dans le manifeste de Brazzaville. Et à l'issue de la guerre, l'un des premiers textes du Gouvernement Provisoire sera l'ordonnance du 9 août 1944, déclarant "nuls et de nul effet" tous les actes relevant de l'État Français à compter du 16 juin 1940. Nul ne conteste aujourd'hui qu'en terme de droit l'État Français, en plus d'être inconstitutionnel, était juridiquement distinct de la République, en dépit des hommes qui ont pu appartenir aux deux régimes.


En 1992, Mitterrand dut faire face à un "appel" publié dans Le Monde par un "Comité Vel d'Hiv 42", poussé par le militantisme effréné de Serge Klarsfeld, exigeant rien moins de la France qu'elle endosse la responsabilité de la rafle, au nom de l'implication de certains de ses agents. Simone Veil avait fait part de son opposition à cette demande. Mitterrand, interrogé à ce sujet par Paul Amar, le 14 juillet 92, répondit au journaliste : "Ne demandez pas des comptes à la République, elle a fait ce qu'elle devait. L'État français, ce n'était pas la République". Il se rendra, le 16 juillet de cette année là, à la cérémonie du Vel d'Hiv, où il fut hué par les associations juives présentes. Il n'y prit pas la parole. Le 11 novembre, comme à son accoutumée, il fit déposer une gerbe sur la tombe du Maréchal Pétain. Mais en février 1993, il dût promulguer un décret instituant un "journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite "gouvernement de l'Etat français (1940-1944)", et s'abstenir désormais d'aller de faire fleurir la tombe du vieux Maréchal.


Jacques Chirac, dans un discours du 16 juillet 1995 dû à la plume de Christine Albanel, eut des mots très ambigus : "Oui la folie criminelle de l'occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l'État français". Le discours reste ici parfaitement factuel : la rafle, décidée par l'occupant, a effectivement été organisée avec le concours des autorités françaises de l'époque, puis exécutée par sa police. Chirac pointe un rôle de relais, n'évoquant la question de la responsabilité de la France que de manière allusive. La suite du discours prend bien soin de distinguer "la France" de "l'État Français""cette France n’a jamais été à Vichy", et de relever l'action de "ces justes parmi les nations qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie, comme l’écrit Serge Klarsfeld, les trois quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu’elle a de meilleur". Peine perdue : les commentateurs, militants, profiteront du manque de netteté du discours pour annoncer que la France endossait enfin la responsabilité de l'opération, et se réjouiront avec tapage d'une victoire qu'ils avaient pour partie inventée.


Si l'on s'en tient aux textes, l'opinion commune selon laquelle ce serait Jacques Chirac qui aurait le premier reconnu la responsabilité de la France n'est donc pas strictement vérifiée. En réalité, ce fut Hollande qui le premier affirma sans détour que la France y avait commis un crime, dans son discours du 22 juillet 2012 : "La vérité est dure, elle est cruelle. Mais la vérité, c'est que pas un soldat allemand, pas un seul, ne fut mobilisé pour l'ensemble de cette opération. La vérité, c'est que le crime fut commis en France, par la France". De nouveau, les commentateurs applaudirent bruyamment, saluant le pas franchi depuis Chirac. Richard Prasquier, président du CRIF, fait savoir sa satisfaction, ainsi qu'Arno Klarsfled, alors président de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Serge Klarsfeld, son père, président de l’association des Fils et filles des déportés juifs de France rappelle cependant que "si 11.000 enfants juifs ont été déportés" pendant la Deuxième Guerre mondiale, "60.000 furent sauvés par la population française, qui, dans son ensemble, mérite d’être qualifiée de juste". Si la droite récuse le propos d'Hollande, à gauche le PS applaudit, par les voix de Martine Aubry, première secrétaire, et de David Assouline, porte-parole, et même de Valérie Trierweiler, favorite à l'époque. Néanmoins, de fortes voix de gauche s'élevèrent contre le propos présidentiels. Entre autres, celles de Chevènement et de Pierre Bergé, pour une fois du même avis que Guaino. Et ceux qui avaient lu ce discours ont pointé les erreurs historiques qu'il contenait déjà.


Macron, dans un discours du 16 juillet 2017 attribué à la plume de Sylvain Fort, s'inscrit dans la ligne Hollande : "oui, je le redis ici, c’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation". Macron justifie son négationnisme de la position gaullienne au motif que "Vichy ce n’était certes pas tous les Français, vous l’avez rappelé, mais c’était le gouvernement et l’administration de la France [...] La France de l’État français ne se substitua pas en une nuit à la France de la III° République. Ministres, fonctionnaires, agents, responsables économiques, cadres, professeurs, la III° République fournit à l’État du maréchal Pétain la plus grande partie de son personnel". Pour Macron, la France de Vichy est la France au plan du droit, nonobstant son inconstitutionnalité (ce qui implique que la France Libre ne soit pas "la France"), car selon lui, Vichy est la continuation morale de la République.


Que l'on se place au plan moral ou au plan du droit, ce qui demeure inacceptable dans les deux cas, c'est d'occulter volontairement les éléments principaux du débat.


Le premier élément de contexte, c'est qu'en 1942, la France a perdu la guerre que son gouvernement avait déclaré à l'Allemagne et que la défaite est totale. Que ses troupes ont été balayées en quelques semaines, que sa population a été jetée, hagarde, sur les routes de l'exode. Que la France de 1942 est à la botte de l'occupant nazi, qui envahira la zone libre en novembre, et qu'elle n'a aucun moyen de se soustraire à ses exigences. De cela, oui, le gouvernement de la République est comptable.


Le second élément de contexte, c'est qu'en 1942, la réalité épouvantable des camps de la mort est ignorée. Officiellement, les allemands ont besoin de main d'œuvre, et ne déportent que des travailleurs entre 16 et 50 ans. Berlin interdit la déportation des personnes de moins de 16 ans (c'est pour cette raison que les enfants du Vel d'Hiv ont été séparés de leurs parents). En cela, l'opération du Vel d'Hiv n'est qu'une opération de police presque "banale" dans le contexte d'une défaite absolue. Les effectifs français font ici un travail de police, certes marqué du sceau de l'injustice, mais il ne s'agit en aucun cas pour eux de participer à un crime collectif dont aucun n'a connaissance.


C'est masquer que l'intention de "la France", ou du gouvernement Français, comme on voudra, aura été de diminuer les exigences du vainqueur, et, contre toute attente, d'y réussir. L'occupant exigeait 40.000 juifs, René Bousquet avait proposé 10.000. La circulaire de police en avait désigné 27.000, 13.000 seront arrêtés. Tous les juifs Français ont été protégés, sans exception. Sans doute les négociations entre Bousquet et le Général SS Oberg, exécutant les ordres d'Adolf Eichmann, petit fonctionnaire borné selon l'appréciation d'Hannah Arendt, auront-elles été épouvantables, il n'en reste pas moins que des milliers de personnes leurs doivent la vie.


C'est masquer que l'antisémitisme français des années 30 n'a rien à voir avec l'antisémitisme nazi de la même époque. Serge Klarsfeld le rappelle lui même : "la population française, [...] dans son ensemble, mérite d’être qualifiée de juste". Faire de la France de 1942 un pays antisémite, au sens nazi du terme, au prétexte de l'action honteuse de certains français, est une contre-vérité absolue et dégradante, tout aussi inacceptable que celle qui consisterait à faire d'Israël un pays nazi, au prétexte de l'action honteuse de certains israélites, dont certains furent parmi les plus grands théoriciens du nazisme, et d'autres parmi ses collaborateurs, jusque dans les camps. 


C'est oublier fort à propos que d'autres personnes furent également parqués au Vel d'Hiv, deux ans plus tard, dont beaucoup trouvèrent une mort tout aussi arbitraire. Lorsqu'on est le Président des morts, on doit l'être de tous les morts, car de ces morts là, la République et "la France" sont indiscutablement comptables.

C'est masquer ce que la collaboration doit à la gauche, et ce que l'anti-germanisme doit à la droite maurrassienne, pour tenter de faire croire avec un cynisme absolu que la plus grande menace pesant sur la France serait constituée de onze millions de racistes et d'antisémites n'attendant que la victoire électorale d'une walkyrie blonde pour défiler à nouveau au pas de l'oie, car c'est bien l'image portée en creux par le début de son discours.


C'est faire semblant de ne pas savoir que morale et politique ne relèvent pas du même plan, et qu'une position moralement juste peut aussi être politiquement erronée, voire mortelle. Ainsi des Pays-Bas, dont les évêques avait fait lire dans les églises, en Juillet 1942, une lettre condamnant "le traitement injuste et sans merci réservé aux Juifs", lettre qui a été l'une des causes de l'accentuation des déportations dans ce pays, dont la population juive a finalement payé l'un des plus lourds tributs, au prix de son sang. 


Jupiter, s'il condamne sévèrement "la France" après 75 ans, n'a pas éprouvé le besoin d'exposer au vulgum pecus ce qu'il aurait fait, à la place du Préfet Bousquet, et osé garantir que le refus outré qu'il aurait opposé à Oberg l'aurait inévitablement conduit à abandonner l'opération Vel d'Hiv. Car il n'y avait pas de solution indiscutablement juste, et la solution du préfet Bousquet était peut-être la moins pire. Vaut-il mieux avoir les mains propres et l'âme couverte de sang, ou alors ne pas craindre de se salir les mains, pour tenter de diminuer le nombre des victimes ?


La question de la responsabilité se résous par la réponse à une question simple : cette opération aurait-elle eu lieu, si le III° Reich n'avait pas contraint l'État Français à y engager ses moyens ? Elle est évidemment négative, et ceci explique que la conscience universelle considère comme une évidence que la responsabilité essentielle, primordiale, écrasante, en revient à l'idéologie délirante du III° Reich, totalement étrangère aux traditions Françaises, et la responsabilité précise, méthodique, portée par l'autorité allemande, unique donneur d'ordre de l'opération du Vel d'Hiv. 


Il revient aux historiens, et non aux politiques, de débattre en toute liberté, de la responsabilité des personnes qui furent les acteurs de cette rafle. Responsabilité à différencier en fonction de leur degré de d'information, en fonction de l'appréciation de leur liberté de manœuvre, en fonction de la certitude qu'une conduite différente aurait été un mieux. C'est dire qu'il faudra du temps pour arriver à un pont de vue consensuel. Mais la seule certitude absolue de l'issue de ce débat, c'est qu'à l'évidence, aucun consensus d'historiens ne reconnaîtra "la France" comme responsable de la mort des déportés du Vel d'Hiv.


A l'étranger, cette polémique franco-française n'a eu strictement aucun écho, car il ne viendrait à aucun pays au monde de charger la France d'une responsabilité aussi grotesque.


Aussi, l'attitude du président Français pose question. Quelle contrainte, quels intérêts supérieurs, quelles nécessités, aura-t-il fallu pour que Président Macron se rende auteur d'un recyclage aussi grossier ? Et à qui profite ce crime délibéré - car il est inimaginable que Macron soit sincère - de falsification de l'histoire ? 





Le discours d'Emmanuel Macron mériterait à lui seul une exégèse détaillée, tant il s'inscrit avec intelligence dans la stratégie rhétorique qu'avait décrite Orwell dès 1949 ("1984"). Une telle étude mériterait un autre article, mais nous ne résistons pas à la tentation de présenter ci-dessous quelques points significatifs.

Big Brother pour les nuls

Macron ne craint pas d'énoncer : "Je récuse aussi ceux qui font acte de relativisme en expliquant qu’exonérer la France de la rafle du Vel d’Hiv serait une bonne chose. Et que ce serait ainsi s’inscrire dans les pas du général de Gaulle, de François Mitterrand qui, sur ce sujet, restèrent mutiques. Mais il est des vérités dont l’état de la société, les traumatismes encore vifs des uns, le déni des autres a pu brider l’expression."


C'est beau comme l'antique, mais comme souvent dans l'antique, tout est faux dans ce paragraphe. Du début à la fin.


Personne ne cherche à relativiser "parce que ce serait une bonne chose". Mais de grandes voix, De Gaulle, Mitterrand, Guaino, Chevènement, Bergé, Jeanneney, Le Pen, et bien d'autres, ont affirmé que de leur point de vue, la France n'était pas comptable des morts du Vel d'Hiv, au nom d'arguments explicites et non "parce que cela ne serait pas bien". L'intelligence de cette phrase consiste à instiller l'idée que ceux qui ont tenu l'opinion contraire à celle de Jupiter, pensaient en fait la même chose, mais l'auraient caché, parce que c'était "une bonne chose".


Poser que le Général De Gaulle et Mitterrand seraient restés "mutiques" est une contre-vérité historique éhontée, car les réactions de l'un et de l'autre ont été exprimées officiellement, comme en témoignent les multiples articles de presse de l'époque, au contraire de celles de Pompidou et Giscard, restés discrets. L'intelligence de cette phrase consiste à instiller l'idée que ne pas être mutique est un devoir moral, et de reprocher ce mutisme non pas à ceux qui sont restés mutiques, mais à ceux qui ne l'ont pas été, mais avaient une opinion contraire à celle de Jupiter. Plus c'est gros, plus ça passe.


Revenant ensuite sur son accusation précédente, Macron en dévoile l'explication : l'état de la société, la proximité des traumatismes, et le déni, seraient les causes du "mutisme" de De Gaulle et Mitterrand. Sauf que c'est au nom du droit constitutionnel que De Gaulle avait récusé la responsabilité de la République, et que c'est précisément à cause de l'état de la société que Mitterrand à été contraint de faire ce qu'il n'avait pas l'intention de faire, c'est à dire l'instauration d'une journée du souvenir. L'intelligence de ce passage consiste à diminuer la responsabilité personnelle des accusés aux yeux du lecteur inattentif, afin de rendre acceptable l'idée qu'ils aient pu être coupables. Une fois l'idée de cette culpabilité acceptée, l'étape suivante sera de nier les circonstances atténuantes invoquées au début. Facile.


La perversité manipulatrice de ce discours est absolument fascinante, et ce n'est pas pour rien que Sylvain Fort, précédemment plume de Laurent Vauquiez, est un ancien de Normale Sup. A chaque phrase, il faut se demander où est le piège. Et s'il n'est pas trouvé, relire la phrase. Bien peu d'esprits "normaux" sortiront indemnes de cette lecture, sauf à consentir à un travail de réflexion, de documentation, et de distanciation. Justement ce contre quoi conspire le monde moderne.


Jupiter pour les nuls

Le discours de Macron comporte aussi des passages odieux : "Ce que nous croyons établi par les autorités de la République sans distinction partisane, avéré par tous les historiens, confirmé par la conscience nationale s’est trouvé contesté par des responsables politiques français prêts à faire reculer la vérité. C’est faire beaucoup d’honneur à ces faussaires que de leur répondre, mais se taire serait pire, ce serait être complice." 


Ce paragraphe est effrontément mensonger dans sa première partie, puisqu'il n'existe aucune autorité ni aucun consensus d'historien qui aurait défini la responsabilité de la France. Par plus que de préoccupation de conscience nationale, qui ne se sent pas heureusement pas concernée spécifiquement par l'histoire du Vel d'Hiv, et à qui il ne viendrait pas à l'idée de s'affliger d'une culpabilité imaginaire.


Et dans sa seconde partie, le Président de tous les Français, adoptant une posture jupitérienne d'arbitre de la morale et de juge ultime de la vérité - décrète ex cathedra que sa rivale des élections présidentielle n'est qu'une faussaire à qui il ne veut bien parler, les sourcils froncés, que pour ne pas paraître son complice. Un maître-faussaire, ça ose tout.


L'homme que le Président Macron a invité à sa droite, et qu'il appelle affectueusement "Bibi", doit se tordre de rire. Benjamin Netanyahou, "Bibi" pour les intimes, classé infiniment plus à droite que Marine Le Pen, avait provoqué en octobre 2015 une indignation mondiale en affirmant qu'Hitler n'avait pas souhaité exterminer les juifs, mais qu'il s'agissait d'une idée du Mufti de Jérusalem. C'est dire qu'en matière de falsification d'histoire, "Bibi" est une sacrée référence.


Macron pour les nuls.

Plus loin dans ce discours, Emmanuel Macron dévoile enfin son plan contre la violence, issu de toute la complexité de sa pensée : "Ce sont toutes ces haines qui se fondent sur ce que l'on est, sur d'où l'on vient, sur ce que l'on croit que nous devons combattre"


Ces mots sont proprement stupéfiants. 


Ainsi, pour vaincre la haine, Emmanuel Macron nous admoneste de combattre tout à la fois l'identité, la mémoire, et les croyances ? 


Comment et pourquoi aurait-il fallu lutter contre le nazisme, s'il ne faut croire en rien ? Qu'est qu'une patrie, si l'identité n'est qu'une des sources de la violence ? Quel est l'avenir d'un homme sans mémoire ? 


Comment le peuple juif lui-même, qui ne doit sa survie depuis la chute de Jérusalem (Titus, 70) qu'à la jalouse préservation de ce en quoi il croit, de la mémoire d'où il vient, et de son identité, peut-il accueillir son discours ? Ne se sent-il pas concerné par ce programme d'Emmanuel Macron, qui pose ainsi les fondements d'un nouveau totalitarisme, pas très loin de celui inventé par Rosenberg, Feder, et Goebbels ?

Classé dans : Histoire - Mots clés : antisémitisme, nazisme, vel d'hiv, manipulation - 1 commentaire

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