Après leur Assemblée plénière, les évêques se sont engagés à créer un fonds d’indemnisation des victimes de violences sexuelles dans l’Église. Un collectif de catholiques juristes et universitaires s’interroge sur les moyens destinés à abonder ce fonds et défend le refus de certains fidèles de s’associer à ces indemnisations.
À Lourdes, examinant les suites de la Ciase, les évêques de France viennent de reconnaître leur « responsabilité institutionnelle » dans les affaires de mœurs, entraînant un « devoir de justice et de réparation ». Ils s’engagent le 8 novembre « en vue d’indemniser les personnes victimes » « à abonder » un fonds de dotation érigé depuis juin dernier selon la loi du 4 août 2008, dit « Fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs » (SELAM) « en se dessaisissant de biens immobiliers et mobiliers de la CEF et des diocèses ». « Un emprunt pourra être souscrit » ont-ils encore avancé. Bien des contours demeurent imprécis et des questions complexes sans réponse sur une réparation pécuniaire et le principe de responsabilité.
Nous, laïcs juristes et universitaires, au service de la victime par nos métiers, sommes affligés pour les milliers de victimes blessées dans leur vie, à vie, comme par l’impunité des religieux ou laïcs missionnés qui se sont rendus coupables ; mais aussi meurtris pour les milliers de saints prêtres, diacres, religieux, consacrées et admirables bénévoles laïques, victimes collatérales. Pour autant, nous ne serions pas d’accord avec ce qui s’apparenterait à une « socialisation » ou « collectivisation » des graves « scandales » (Mt. 18 : 6) commis et modes de réparations envisagés.
Nous estimons n’avoir ni responsabilité ni culpabilité dans ces « scandales », crimes pédophiles comme les crimes d’omerta. Nous attendons toujours des explications, qui ne nous ont pas été fournies par la Ciase, de la part des présidents de la CEF, Mgrs Pontier, André Vingt-Trois et Ricard,en fonction entre 2001 et avant 2018.
Nous sommes troublés de l’absence de réflexion théologique sur la portée de certains choix juridiques. Si la réparation est le devoir du coupable d’un péché, mais aussi dit St Thomas d’Aquin de celui « Ne s’opposant pas, Ne dénonçant pas » (adage Tenentur omnes illi qui, quoquo modo), cela pose d’abord une question de responsabilité personnelle (prêtre ou évêque mis en cause), quitte à imaginer une reprise de l’action en dommage. Ensuite le docteur de l’Église n’a pas envisagé le pretium doloris (prix de la douleur) que même nos jurisprudences laïques n’ont admis qu’après la Seconde Guerre.
Quelle théologie peut-on se faire sur cette question complexe, aux carrefours avec les lois du Monde qui ramènent tout à l’argent ? Pour condamner le scandale aux petits, Jésus emploie l’image inouïe d’une peine capitale avec une meule d’âne attachée au cou, en même temps promet le paradis au coupable, condamné de droit commun, mais repentant, et à un blessé de la vie Il demande « veux-tu guérir ? » L’Église, n’étant pas une ONG, ne peut entrer dans une logique d’ONG. Quelques recommandations d’un rapport comme un communiqué de presse ne suffisent pas à épuiser toutes ces questions.
Nous rejetons aussi par avance toute mutualisation d’une réparation des victimes qui se ferait sur le dos de la confiance des fidèles, par le biais du risque d’un détournement indirect de leurs Deniers ou legs.Quelles relations transparentes aura ce fonds, doté de la personnalité juridique, titulaire de l’emprunt, avec la seule entité juridique civilement responsable que sont les Associations diocésaines, reconnues depuis 1923, sous protection mais aussi contrôle tant de la loi de 1905-1907 que des fidèles par l’intermédiaire de leur conseil diocésain ?
Ce sont théoriquement elles qui portent la responsabilité pécuniaire en inscrivant dans leur bilan une dette de réparations. C’est bien le Denier qui forme leur recette majoritaire pérenne (256 M€) suivi des legs (98 M€) (les quêtes vont aux paroisses et le casuel aux prêtres). Alimenté sur la base du « volontariat », ambitionnant la collecte de « 5 M € », ce fonds y suffira-t-il, sur la durée ? Un archevêque parle plutôt de « centaines » de M € ! La Ciase n’a pas expertisé à fond la question des recettes.
Si le sujet n’était pas si grave on sourirait à l’illusion que le fonds soit alimenté sur le « patrimoine des agresseurs » (Recom. 33), la moyenne de pension d’un religieux retraité étant de 900 € mensuels… On jure de tous côtés que le Denier ne servira pas, aujourd’hui ; tout au plus admet-on la vente de « biens immobiliers et mobiliers » de l’Église, mais avec quelles recettes si ce n’est le Denier ou des legs ont-ils été acquis après 1905 ? La confiance des donateurs et testateurs ne doit pas être rompue par le flou ou trahie par la suite par le risque de « cavalerie budgétaire ».
Si venir au secours des blessés est devoir de justice caritative, sans recourir nécessairement ou exclusivement aux dommages et intérêts, les fidèles ont le droit légitime de ne pas accepter de cofinancer l’échec du cléricalisme, selon le mot du pape, par le biais de leur Denier ou legs, antérieurs comme futurs. Le Denier est devoir de tout baptisé (Canon 222), mais comment blâmerait-on ceux qui décideraient en conscience, à titre conservatoire, de le verser à d’autres Fondations d’Église qu’aux Associations diocésaines tant que les clarifications ne viennent pas ?
Nous appelons donc à la vigilance sur toutes les questions que soulève ce « chantier » ouvert car les réponses vont au-delà du devoir présent, comme nous attendons des réponses précises qui en découleront. On ne peut plus se payer de l’incantatoire « Faites confiance à la hiérarchie », détournement du « Confiance ! n’ayez pas peur ! » (Mc 6 :50).
Signataires :
Marie-Thérèse AVON-SOLETTI, maître de conférences
Me Françoise BESSON, avocate
Christophe EOCHE-DUVAL, juriste
Edouard HUSSON, agrégé, professeur des Universités
Me Santiago MUZIO, avocat
Me Anne-Laure REVEILHAC DE MAULMONT, avocat
Me Daniel TARASCONI, avocat