Discours du Président de la République au Grand Orient de France à l’occasion du 250è anniversaire de son appellation.

Rédigé par hamlet le 15 avril 2024

La franc-maçonnerie fait l'objet de spéculations et de fantasmes, de par son côté semi-secret. Certains sont tentés d'y voir la main qui dirige le monde, tandis que d'autres estiment qu'il ne s'agit que d'une association philanthropique parmi d'autres.

Quoi de mieux que le discours d'Emmanuel Macron pour le 250° anniversaire du Grand Orient, pour en donner un aperçu ?

  

Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Messieurs les préfets,
Messieurs, Mesdames les très respectables grands maîtres,
Mesdames et Messieurs,
chers amis,

Je vous remercie, très respectable grand maître, d’avoir accepté que la parole circule jusqu’à moi. Premier outil du franc maçon et de l’homme de bonne volonté. La confrontation des oppositions féconde en effet l’acceptation de l’autre dans vos loges au Grand Orient et dans les autres obédiences représentées ici aujourd’hui se poursuit sans relâche, et ainsi conduit ce travail maçonnique et au fond, cette maïeutique utile pour le pays et pour la République. Je voudrais avant toute chose, chercher ici à dire l’importance de cette parole et votre contribution à l’occasion de ces deux cent cinquante ans à la vie de la nation et à notre République.

Chacun sait qu’en vos loges, la parole est hiérarchisée, structurée, organisée, légitimée par un lent et patient travail de la pensée, de l’écoute et du partage. Et c’est ainsi que se conduit la recherche de la vérité. Et à l’heure des réseaux sociaux, où les paroles indistinctes se mêlent et s’entremêlent sans hiérarchie ni distinction, nous l’évoquions tout à l’heure avec tous les risques que cela implique, ce modèle pourrait paraître anachronique. Mais si vous autorisez le profane que je suis à le dire, c’est un modèle qui, à l’évidence, n’est pas dénué de vertu. Vertu de la patience pour façonner une parole de raison porteuse de progrès, parole profondément attachée à la liberté de l’être humain. Et je crois aussi qu’au moment où ailleurs, ce sont les armes qui parlent en Europe et dans le monde et où, chez nous s’élèvent des voix de confusion, de haine, de déraison et de division, cette parole doit être plus forte et mieux entendue.

« L’histoire de la franc-maçonnerie, qui commence on ne sait quand véritablement, s’inscrit dans des temps lointains »

C’est ce qui motive, entre autres, ma présence ici parmi vous. Les deux cent cinquante ans du Grand Orient en sont naturellement l’occasion. Mais je sais que, s’agissant de l’histoire de la franc-maçonnerie, qui commence on ne sait quand véritablement, s’inscrit dans des temps lointains, empreinte aux grands mythes.

Les dates ne comptent guère. Seuls comptent, aujourd’hui comme hier, l’avenir et le progrès humain possibles. Votre nom même signifie cette attention à l’aube toujours recommencée de l’idéal. C’est donc de cet idéal et de cet avenir que je viens surtout parler aujourd’hui. Cet avenir se construit certes à la lumière d’un grand héritage.

Nous l’avons vu ensemble, tout à l’heure ; issue de ses compagnonnages d’Ecosse, d’Angleterre où des hommes éprouvés par la violence religieuse se sont retrouvés en laissant leur discorde à la porte des loges, de proche en proche, la franc maçonnerie devint un projet de société. Ce projet était celui des Lumières.

Elle transmit cette pensée de liberté et de raison, des salons aux provinces. La franc-maçonnerie est à cet égard la fille aînée des Lumières. Dans ses rites, bien sûr, où s’exalte l’éclat de la raison humaine, prompte à transpercer le fanatisme. Dans ses idées, surtout, elle tient l’homme comme la mesure du monde.

« L’homme comme la mesure du monde »

Elle consacre l’égalité entre les femmes et les hommes dans leurs facultés de jugement, dans leur égalité profonde, par-delà les origines ou la religion, dans leur perfectionnement possible et souhaitable par l’éducation, la culture, leur aspiration au progrès. Elle dit que l’humanité est une et que l’avenir peut être porteur d’espoir.

En 1773, dans des remous que je laisse à la sagesse de l’étude, le Grand Orient décida de s’appeler ainsi. Alors se noua le fil profondément français, si vous me le permettez, de la franc-maçonnerie, un fil qui, dès l’origine, présentait des traits propres à notre esprit national, le goût des distinctions et des hiérarchies.

Je sais que les grades ou les degrés dans leur complexité sont tenus pour être nés en France, bien qu’on les qualifie d’écossais, mais aussi et surtout un caractère profondément démocratique, marié à une ambition d’ordre. Avec la création du Grand Orient, les vénérables jusqu’alors propriétaires à vie de leurs charges, sont élus et les loges disséminées sur le territoire doivent désormais répondre à Paris. La centralisation, ici aussi, s’exerce.

Par une même réforme, étaient combattues l’inégalité naturelle et le poids excessif des particularismes, une lutte contre l’assignation au profit de la liberté et de l’unité, une œuvre de liberté et de concorde au-dessus du chaos et de la fatalité. La franc-maçonnerie française était constituée à l’image des desseins de la nation française, démocratique, méritocratique ; la franc-maçonnerie française est aussi universelle.

Dès le dix-huitième siècle, elle accueillait à égalité ceux que la société d’alors vouait aux places obscures : les frères de confession juive, ceux de couleur, les femmes au sein des loges dites d’adoption. Parmi elles – et comment pourrais-je l’oublier ? –, une ancienne propriétaire du palais de l’Elysée, Bathilde d’Orléans, sœur de Philippe-Egalité, grand maître du Grand Orient, et elle-même grande maîtresse, surnommée « citoyenne Vérité » à la Révolution.

Rien n’est plus émouvant que de lire ici, au sein du musée de la rue Cadet, les débats graves et pondérés où les loges discutent de l’acception des uns et des autres. Nous les avons recroisés tout à l’heure. Ces débats ont conclu toujours à l’égalité et à l’humanisme. Et ces lettres et ces mots sont toujours nos contemporains. Il exista dès cette époque une affinité élective entre la franc-maçonnerie et le combat pour la liberté qui deviendra combat républicain. Destins jumeaux, destins fraternels face à l’opposition cléricale et aux fractures de l’histoire du dix-neuvième siècle.

« L’apport de la franc-maçonnerie est une vérité historique »

Dans l’alternance des rois et des empereurs, la franc-maçonnerie finit par s’identifier au projet républicain, et la République s’éleva pierre à pierre. Qu’on ne s’y trompe pas, là encore, l’apport de la franc-maçonnerie est une vérité historique. Il n’y a ici ni complot ni dessein secret. Regardons face à nous, dans ce temple Groussier : la fresque à l’Orient représente une allégorie féminine. A ses côtés trônent des visages et des figures qui signifient la culture, l’espoir, les arts. Tout, dans ce décor, paraît familier à tout citoyen, à tout Français, parce que dans l’œuvre de ce frère, le frère Poisson, surgissent les contours de la statue de la Liberté de Bartholdi ou La Liberté guidant le peuple de Delacroix ; surgit l’ombre de Marianne, surgissent ces mots de Victor Hugo : « République universelle, tu n’es encore que l’étincelle. Demain, tu seras le soleil. » Surgit tout notre imaginaire français et républicain.

Et pendant des décennies, l’œuvre maçonnique et le combat républicain se rejoignirent pour presque se confondre. En témoigne cette Déclaration universelle des droits de l’homme, texte fondamental pour l’une et l’autre.

A la Révolution, les francs-maçons furent députés, soldats de leur idéal, mais aussi, hélas, à partir de 1793, victimes de la terreur robespierriste.

Sous l’Empire, leur œuvre fut consolidée. A la Restauration, des rois précédemment maçons tirèrent profit de leur engagement. Sous la seconde République, ce sont des maçons qui inspirèrent l’abolition de l’esclavage, tentèrent le partage du progrès matériel en combattant la misère, sœurs jumelles de l’obscurantisme. Et, sans qu’il puisse s’agir d’une coïncidence, les francs-maçons lui donnèrent sa devise ou prirent celle de la République, qui sait, « liberté, égalité, fraternité ».

Dans l’ombre que leur tendait leurs fausses légendes noires, la franc-maçonnerie formait cette république à couvert qu’évoquent les historiens, à couvert sous des toits les protégeant de la curiosité inquisitrice des autorités, puisque l’installation du Grand Orient rue Cadet date justement de cette période.

Oui, République à couvert. Car dans les banquets et les comices, dans les cercles de pensée et dans les mots d’avocat ou de journalistes, palpitait cet idéal attendant son heure. Vint la chute de l’Empire. Vint le gouvernement provisoire de Léon Gambetta, le décret Crémieux qui accorda enfin la citoyenneté aux Français juifs d’Algérie et permit leur émancipation républicaine.

« Tous n’étaient pas maçons, mais tous en défendaient les valeurs »

Je pourrais citer tant de noms du Grand Orient ou de la Grande Loge, mais nul besoin d’énumérer ici les pères fondateurs de notre République. Tous n’étaient pas maçons, mais tous en défendaient les valeurs. La franc-maçonnerie n’a pas fait à elle seule la République, mais la République, sans elle, ne se serait pas faite.

La franc maçonnerie fut l’atelier de la République, là où se poursuivait l’œuvre commencée dans le temple ; la Franc-maçonnerie donna à la République ses premières forces vives. Et à l’heure où le Parti républicain n’avait qu’une prise incertaine sur le pays que la monarchie menaçait de revenir, les francs-maçons furent dans nos villages, dans nos petites patries, ces commis-voyageurs de la République dont parlait Gambetta. Ils furent ces humbles militants pénétrés de l’idéal des Lumières, défendant la République face aux forces monarchistes comme face aux tenants de l’insurrection. La franc-maçonnerie donna à la République ses assises et son mouvement. Seule organisation civique d’importance face à l’Eglise, elle engendra presque à elle seule le Parti radical, dont les membres tinrent debout les murs de cette maison neuve qu’était alors la République.

Elle donna à la République non seulement cela, mais encore toute sa puissance spéculative qui procédait de l’activité intellectuelle des frères. Les loges de la raison furent les forges de nos lois. Lois de liberté avec la loi sur la liberté de la presse loi autorisant les syndicats, loi de liberté d’association de 1901, loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; les lois de Jules Ferry sur notre école publique et laïque ; mais loi aussi pour l’égalité, la fraternité, le progrès humain avec la réforme de l’assistance publique, la rédaction d’un code du travail confié à Arthur Grossier , futur grand maître, ou la création des premières mutuelles.

Toutes ces lois en écho du cri de justice, du cri contre la misère et l’oppression contre la loi du plus fort élevé en loi naturelle, ce cri de Gavroche et ce cri de l’enfant de Vallès… Tant de lois furent ici et ailleurs, initiées, imaginées, discutées grâce à elle. A travers elle, la République conquit les cœurs et les urnes malgré les tentatives factieuses, malgré un déchaînement d’antisémitisme qui prit Dreyfus pour victime et à travers lui, l’esprit de la République comme cible, puisque s’en prendre à un juif, c’est toujours aussi chercher à atteindre le projet politique qui le reconnaît, libre et égal, qui le reconnaît comme tel, c’est toujours chercher à atteindre la République. En 1896, comme un symbole, Léon Bourgeois devint président du Conseil à la tête de ce que l’on appela le gouvernement des loges.

« La nation qui nous instruit et nous construit »

Léon Bourgeois, à qui nous venons de rendre hommage, plaidait pour une société solidaire, car l’individu, disait-il, naissait débiteur d’une dette envers la société : un citoyen né avec des droits inaliénables mais aussi avec des devoirs, devoir d’engagement et de solidarité, devoir de se rendre redevable envers la nation qui nous instruit et nous construit.

Léon Bourgeois plaidait dès lors pour l’organisation rationnelle de cette solidarité afin de conjurer les injustices de destin. Quittant le gouvernement, il devint l’artisan de la Société des nations, reçut le prix Nobel de la paix. Car cette solidarité dans la nation existait pour lui à l’échelle du genre humain : la même dette envers les autres, ce même devoir d’être utile aux autres.

Rien des hasards de la naissance ou de l’arbitraire du cours de la vie ne devait séparer entre eux les femmes et les hommes, ni les origines, ni les frontières, car une vie vaut une vie. En cela, Léon Bourgeois ne portait pas seulement un projet franc-maçon. Il vouait ses forces à une ambition universelle et humaniste, d’affranchissement et de raison, de progrès et de paix.

Une ambition qui était alors profondément française et qui l’est toujours. Une vie vaut une vie. En 1899, vous le savez, au comble de l’affaire Dreyfus, fut érigée la statue de la République sur la place du même nom. L’un des témoins de cette liesse, de ce jour heureux de la nation, était Charles Péguy et, décrivant la foule se massant sur les boulevards, il énumère dans le détail les guildes et les confréries, les syndicats d’ouvriers ou d’horlogers qui la composent. Et il note alors, je le cite : « Comme c’est beau, un nom qui désigne les hommes, les groupes, sans contestation, sans hésitation, par le travail quotidien. On sait ce que c’est au moins qu’un forgeron ou un charpentier ? Je voudrais les citer tous car je ne sais comment choisir. » Eh bien, dès ce triomphe de la République, il faut citer, avec les forgerons et les charpentiers, les maçons.

Oui, à chaque fois que la République œuvra à l’amélioration de la condition matérielle et morale de l’humanité, la franc-maçonnerie française fut au rendez-vous. Les ennemis de la République ne s’y trompèrent pas. Le régime de Vichy bannit la franc-maçonnerie et spolia ses biens. Un film de propagande fut tourné, reproduisant le temple Corneloup .

Cinq cents francs-maçons furent assassinés en raison de leur appartenance et tant d’autres moururent pour défendre la patrie des Lumières. Je pense à Jean Zay, ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts. Il fut dans notre histoire l’un de ceux qui bâtit une école de l’émancipation et de la liberté. Il bâtit cette école comme un rempart aux forces de la haine dont il fut lui-même le martyr. Il bâtit une école dont tous nous sommes les héritiers et dont nous devons tous être les gardiens.

Après la guerre, la franc-maçonnerie poursuivit son œuvre, dans le silence et la pénombre où par tradition, par souvenir des persécutions aussi, elle se maintient. Et la cause des femmes doit beaucoup à leur œuvre.

« Je pense au combat mené pour l’interruption volontaire de grossesse »

Je pense au combat mené pour l’interruption volontaire de grossesse, un combat où lutta de haute lutte Pierre Simon de la Grande Loge de France. Je pense aussi au rôle éminent qu’y joua le sénateur Henri Caillavet, rapporteur de la loi de Simone Veil, comme son action fut déterminante en faveur d’autres causes, toujours au nom d’une société où les choix éclairés des individus sont permis et reconnus. Le combat pour la cause des femmes contient tous les enjeux qui nous réunissent aujourd’hui. L’obscurantisme à cet égard n’a pas disparu. Il revient, il renaît. C’est pourquoi j’ai souhaité l’inscription dans notre Constitution de la liberté pour les femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse face à de grands périls.

Nous devons assurer le progrès et la permanence. Nous devons conserver ce que chaque époque a conquis de meilleur pour le transmettre. C’est, je le crois, le sens de toute aventure humaine, celui de toute aventure de pensée. C’est le sens même de la marche d’une nation. Et à travers ces combats, à la lumière d’aujourd’hui, ayant cherché de manière trop rapide à dire votre contribution à l’édification et la consolidation de la République et la vie de notre nation, permettez-moi de conclure mon propos par l’évocation de trois défis, plus particuliers.

Le premier concerne le rôle des francs-maçons. Aujourd’hui où les francs-maçons n’ont jamais semble-t-il été aussi nombreux, certains déplorent la faiblesse de leur influence, leur perte de pouvoir. La presse, si prompte à les compter, en a oublié ses inventaires marronniers. La chasse aux frères invisibles, suspects de tous les maux, est close, et c’est tant mieux. J’ai dit ce que ce compagnonnage avait eu de fructueux et surtout de contingent, tenant aux conditions mêmes de la naissance de la République en France. Mais à l’ère du soupçon ne doit pas succéder l’ère de l’effacement. Il faut conserver le lien vivant entre République et franc maçonnerie, comme doit demeurer le lien entre République et religion, car la loi de 1905 est loi de séparation et pas d’effacement, elle est loi de liberté et pas de contestation. Et ce dialogue ne doit pas simplement concerner la République, mais toute la société.

Et je sais combien d’entre vous sont engagés à cet égard et ne m’ont pas attendu, mais jamais une société discrète ne doit devenir ou donner le sentiment d’être une société muette. Je sais bien que les différentes obédiences, en effet, ne m’ont pas attendu pour prendre part aux combats de l’époque en faveur de la laïcité, du droit des femmes, de la solidarité internationale avec l’Ukraine… tant d’autres.

Je pense notamment aussi au droit de mourir dans la dignité, porté en son temps, là encore, par Henri Caillavet ou Pierre Simon. Une cause qui doit trouver, comme je l’ai promis, une traduction dans une loi de liberté et de respect. Et je vous remercie pour la contribution que vous avez produite en lien avec le gouvernement qui va nous permettre de faire cheminer dans les prochains mois ce texte.

Et je crois plus encore aujourd’hui qu’il nous faut ensemble nous remettre à la forge et retrouver le sel de cet engagement premier. Vous m’avez lancé un défi, si je puis dire, tout à l’heure, en parlant d’un programme qui est celui même de notre République. Je voudrais vous lancer presque le même en parlant d’une action au corps à corps dans la société qui doit retrouver la vigueur et le caractère libre et direct de ceux des premiers temps de notre République. Je crois que ce sera utile à la nation et à la République.

Le deuxième défi, c’est que la franc-maçonnerie doit s’ancrer dans une époque qui lui ressemble peu. Rien n’est plus étranger au goût contemporain que la quête de connaissance de soi et de l’autre, de l’émancipation et de l’affranchissement, de la sérénité et de la concorde qui prévalent dans le temple. L’air du temps déteste ce temps suspendu de la parole et de la tenue. Nos temps sont ceux de la volonté de revanche, de l’identitarisme, du fanatisme, du complotisme. Eh bien précisément, prenez ma présence parmi vous aujourd’hui et ces mots comme une invitation à demeurer intempestifs. Ne cédez pas, car nous en avons besoin à ces modes du temps. Je pense qu’aujourd’hui plus encore qu’hier, la maïeutique qui seule permet à la raison de triompher sur les émotions, le temps suspendu qui seul permet à une société de sortir de la solitude et du fracas des paroles dans laquelle nous sommes plongés aujourd’hui, ce rôle est plus que jamais utile.

C’est évidemment celui que l’école de la République enseigne, que notre nos universités transmettent et doivent continuer de transmettre, que nous voulons inculquer plus largement. Mais vous jouez ce rôle existentiellement et profondément, car nos combats refont surface.

Et aujourd’hui aussi, l’antisémitisme refait surface, vous l’avez évoqué, dans les mots, sur les murs, il s’affiche sans crainte et sans honte. Et à cet égard, je veux ici être définitif. La République ne transige pas et ne transigera pas et nous serons impitoyables face aux porteurs de haine. Mais derrière cette haine antisémite il faut voir ce qui s’y trouve aussi : la haine des juifs, la haine des francs-maçons procèdent du même élan, sont deux préludes, deux prétextes à la haine de la République. Et je le répéterai sans cesse, là où l’antisémitisme entend s’installer, prospèrent avec lui toutes les autres formes de racisme et de haine identitaire, très rapidement. Et veillons à toutes les confusions dans une époque où les uns préfèrent rester ambigus sur la question de l’antisémitisme par souci de flatter de nouveaux communautarismes, et les autres prétendent soutenir nos compatriotes de confession juive en confondant le rejet des musulmans et le soutien des juifs, en refusant, ceux-là même, de condamner clairement leurs positions passées et tous les mots définitifs d’hier. Il n’y a pas de lutte véritable contre l’antisémitisme sans un réel universalisme, qui voit dans chaque citoyen un être de droit et de devoir, appartenant pleinement, totalement à la République et la nation.

« Rassembler ce qui est épars »

Et nous savons, vous savez, que les francs-maçons en seront, comme d’autres, des cibles évidentes. Dans cette époque en proie à la déraison, votre parole de raison a une place essentielle. Alors que les séparatismes et les fanatismes tentent de fissurer la nation, visant au chaos, au mépris parfois de leurs engagements passés ici même, il nous faut à nouveau pouvoir compter sur des soldats de l’idéal, prompts à rassembler ce qui est épars.

Il nous faut restaurer l’autorité, la civilité, l’harmonie. Et ce n’est pas un combat que la République peut mener seule. Ce combat pour l’unité est à reconquérir et à reprendre chaque jour par la démonstration, en paroles et en actes, par cette capacité à renouer le fil de la parole, à sortir des différences, des assignations à résidence dans lesquelles une époque qui n’est soumise qu’aux émotions et à la solitude, immanquablement renfermera les uns et les autres.

La réponse, vous le voyez, n’est dans aucun communautarisme. Elle est dans cet universalisme qui suppose cette maïeutique.

Le troisième défi, enfin, est que la grande idée de la franc-maçonnerie, celle de l’homme et du progrès, court un grand péril. Nous avons vécu en imaginant que la sombre prophétie de Michel Foucault sur la modernité, cette idée de l’homme qui s’effacerait, comme à la limite de la mer s’efface un visage de sable, que cette idée était excessive. En sommes-nous toujours si sûrs… Aujourd’hui, le risque existe de l’asservissement de l’homme par l’écran, de l’esprit humain par ses répliques artificielles, des peuples libres par de nouvelles forces totalitaires, des opinions éclairées par de puissants mouvements de haine, de notre civilisation industrielle par ses propres excès.

Il existe une crise profonde et structurelle, une crise de l’esprit et de l’espoir humaniste face aux grandes bascules technologiques, géopolitiques et climatiques. Je crois qu’il faut justement dans cette période renouer le fil d’un humanisme français et européen qui tiennent ensemble la liberté, l’égalité et la fraternité, qui conjugue progrès et écologie, progrès et régulation du numérique, progrès et réinvention démocratique, progrès et justice sociale.

« Les chaînes des dogmes… »

Un projet dont vous façonnez la forme dans vos cercles depuis deux cent cinquante ans… Celui qui fait l’homme libre en déliant les chaînes qui tiennent sa raison, les chaînes de l’assignation identitaire, les chaînes des intérêts sociaux, les chaînes des malheurs privés et de la pauvreté, les chaînes des dogmes et des asservissements politiques, chaînes des fatalités et des événements.

Ce sont ces chaînes qu’il faut briser, et d’autres liens se nouer au sein de l’école de la nation, d’une société apportant le progrès réel et l’élévation sociale d’un monde fondé sur les règles et le droit qu’il faut au contraire faire vivre.

Mesdames et Messieurs, aussi longtemps que la franc maçonnerie sera au travail, la République sera en éveil.

J’ai tâché ici de redire vos mérites, votre histoire et votre haute contribution à la France et à notre République. Mais aussi de dire quelques-uns de nos défis communs qui supposent de reprendre la bataille des idées et de défendre avec force, audace, les méthodes et les principes qui sont les vôtres.

Conservons ce lien séculaire sans embarras et sans excès, dans le plein respect de nos valeurs respectives, sans les confondre, mais en joignant leurs forces. Si je puis me permettre, j’ai dit. Vive la République et vive la France !

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