L'Europe, aux chiottes ?

Rédigé par hamlet le 22 décembre 2013

Les rédactions de nombreux organes de presse, comme par exemple Le Matin ou le Figaro, ont repris fin novembre une information croustillante : Bruxelles se préparerait à une normalisation sauvage de toutes les cuvettes de toilettes, non plus de Dunkerque à Tamanrasset, mais de Londres à Bucarest.
 
Les fonctionnaires européens ont calculé que la Grande Bretagne consommerait 30% de son eau domestique à évacuer les matières fécales, et le Luxembourg 34%, tandis que la Finlande réussirait à faire la même chose avec seulement 14%. Révulsés par de telles disparités, et ayant calculé, selon des équations compliquées, au delà de l'entendement du citoyen, qu'il serait posssible de faire une économie moyenne de 6600 litres d'eau par an et par foyer, ils auraient donc décidé de réglementer la chasse.
 
La réalité est cependant un peu différente, et amène quelques réflexions complémentaires.
 
Le texte incriminé est franchement désopilant. Disponibles sur EUR-lex en version pdf, ou en version html, il a fallu pas moins de 14 pages aux fonctionnaires européens pour décrire, avec le plus grand sérieux, un urinoir, un urinoir collectif, ou un élément de toilettes. On y apprend notamment que "à des fins administratives, le numéro de code attribué à la catégorie de produits "toilettes à chasse d’eau et urinoirs" est le numéro 41". Un vrai thriller.
 
Bien que les rédactions aient annoncé une normalisation imminente, le texte ne fait en réalité que définir un label, qui serait attribué à des dispositifs hygiéniques respectant un certain nombre de critères. Il n'a donc absolument pas de valeur contraignante (encore qu'il soit vrai que de nombreux texte non-contraignants se soient transformés en règlements, ce qui est un procédé politique courant pour mettre en place des mesures impopulaires).
 
Il faut même reconnaître à première vue que l'idée est acceptable, et la méthode la plus adaptée à son propos : il s'agit, par l'attribution d'un label facultatif, de promouvoir les goguenots les plus pertinents, car la consommation d'eau n'est pas le seul point concerné par ce label, mais il y a par exemple la provenance de forêts "éco-gérées" pour les abattants en bois : ils ont pensé à tout.
 
Il est regrettable que le traitement fautif de l'information ait pu susciter à la fois les ricanements des eurosceptiques, la révolte des Anglais, dont les pratiques fécales sont ainsi pointées du doigt, et de nombreuses critiques relatives au coût du rapport (88.000 euros pour 60 pages). Il s'agit d'un réel dommage causé à l'image de l'Europe.
 
Les remarques qui peuvent être formulées à propos de cette étude sont d'un autre ordre que celles suscitées par les média.
 
Le premier est celui de la fiabilité : mesurer correctement et dans toute l'Europe le volume d'eau consommé pour la fonction d'évacuation des selles est une gageure, et fournir un chiffre, ex-abrupto, de 6600 litres économisés par an et par foyer, ne serait crédible que dans les limites d'une fourchette d'incertitude. De plus, seule la mise en parallèle ce chiffre avec les autres éléments de la consommation d'eau, permettrait d'avoir une idée de son poids relatif.
 
D'autre part, s'il tombe sous le sens du citoyen le moins éco-responsable qu'il est préférable de préférer un dispositif économique qu'un dispositif dispendieux, il tombe également sous le sens que l'eau des toilettes n'est pas détruite par son utilisation. Elle retourne aux fleuves, puis à la mer, et remonte dans le cloud les nuages. De toutes les pollutions imaginées par l'homme, c'est même probablement la plus anodine. Il reste que même si l'on retient ce chiffre de 6600 litres, ce n'est pas pour cela qu'il pleuvra davantage au Sahara.
 
Il est devenu courant de partir de données chiffrées sans examiner leur contexte, pour produire des textes proches de l'aberration : ainsi, par exemple, de l'interdiction des ampoules à filament et de leur remplacement par des ampoules fluorescentes dites "écologiques", au prétexte d'économiser quelques watts, alors que la consommation de ces ampoules est très marginale par rapport à celle d'un séchoir à linge, par exemple, et que de multiples aspects connexes n'avaient pas été pris en compte : coût de fabrication, de recyclage, de transport, coût économique (car elles sont fabriquées en Chine), et laideur du résultat. Ces lampes imposées par l'Europe ont été dépassées rapidement par de nouvelles ampoules à filament, ce dernier étant maintenant placé dans une seconde enveloppe. Quoi de mieux qu'un prétexte "scientifique" pour justifier une ânerie, et maintenir la responsabilité du législateur au dessous du niveau de la mer ?
 
Les fonctionnaires européens se sont, au final, occupés à définir un label dont l'intérêt n'apparaît pas évident. La vocation de l'Union est-elle d'estampiller tous les produits disponibles ? Les fabricants n'ont pas attendu l'Europe pour proposer des produits économisant l'eau, et il est probable que le consommateur orientera son choix vers les dispositifs économes, label ou pas, pour son prochain achat. Il est juste regrettable que les urinoirs ne fassent qu'assez rarement l'objet de cadeaux de Noël ou d'anniversaire, ce qui permettrait de les changer plus régulièrement.
 
Au final, il est probable qu'il soit préférable que les fonctionnaires européens s'abstiennent de produire des textes dont l'intérêt est aussi discutable, car, affreusement débordé par des tâches inutiles, ils n'ont plus les ressources nécessaires pour produire les grands textes qui seraient utiles à l'Europe, ou même qui en représenteraient le projet dans toute son ampleur. 
 

 

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Et si l'on alignait le secteur privé sur le secteur public ?

Rédigé par hamlet le 11 juillet 2012

Un salarié français sur 5 est fonctionnaire : tandis que 4 travaillent, le 5° contrôle, vérifie, juge, soigne, organise, verbalise, enseigne, combat (certains parlent carrément d'un sur quatre, tellement les statistiques, qui sont capables de nous mesurer les évolutions de PIB au centième de point, sont plus floues dès lors qu'il s'agit de fonctionnaires, ou d'immigration, pour parler des sujets qui fâchent !).

Toutes fonctions publiques confondues (la fonction publique d'état, la territoriale, et l'hospitalière), la solidarité nationale alimente 5,3 millions de fonctionnaires, représentant une masse salariale de 260 milliards d’euros par an. Il faudrait ajouter à cette masse les 800 000 agents qui travaillent pour des entreprises publiques. 

En terme d'évolution, sous le quinquennat Sarközy, la fonction publique a cru de 280.000 postes : si 150 000 emplois ont été supprimés dans la fonction publique d’État, 232 000 emplois ont été créés dans la fonction publique territoriale et 108 009 dans la fonction publique hospitalière. On aura beau objecter que l'Etat n'a plus la main sur les recrutements des régions, il n'en reste pas moins que l'argent des régions est l'argent de l'Etat...

Le premier avantage discriminant dont les fonctionnaires disposent par rapport au privé est la sécurité de l'emploi. Courageux, voire inconscient; qui se risquerait à demander le licenciement d'un fonctionnaire ! Mais il en existe d'autres : avantages divers, congés, "congés maladie", rythme de travail, grèves, etc. 

Il faudrait aussi parler de la retraite : les fonctionnaires partent en retraite entre 52 et 57 ans, contre 60 ou 62 ans pour le secteur privé, avec une retraite calculée sur les 6 derniers mois de salaire, tandis que sont prises en compte les 25 meilleures années d'un salarié du privé. La retraite des fonctionnaires est garantie (au minimum 75% du dernier salaire), pas celles du secteur privé.

Hors ces avantages complémentaires, qui demeurent hors chiffrage, selon les chiffres fournis par l'INSEE, un fonctionnaire gagne en moyenne 2 377 euros par mois, tandis qu'un salarié du privé est à 1607 euros. Cette différence de 770 euros en faveur des fonctionnaires représente un écart de 48% entre les deux catégories.

Ne serait-il pas temps pour les salariés du privé de travailler, dans un premier temps, à l'alignement de leurs salaires sur ceux de la fonction publique, et dans un second temps, de travailler au chiffrage des avantages des fonctionnaires, et à l'intégration de cette évaluation dans le calcul ? Si "Equité" ne fait pas partie de la devise de la République, il y a bien "Egalité", non ?



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