Du droit légitime de ne pas cofinancer l’échec du cléricalisme

Rédigé par hamlet le 29 janvier 2023

Le rapport de la CIASE sur les abus sexuels dans l'église a suscité de nombreux commentaires, à la fois sur la méthodologie utilisée, ses conclusions, et ses propositions pour remédier à la situation décrite.


Sa publication a suscité la création par la CEF d'un fond d'indemnisation pour les victimes, mais l'initiative pose question : au nom de quoi, dans un état qui se prétend "de droit", une institution non-judiciaire et partie prenante serait-elle légitime à édicter des modalités d'indemnisation spécifiques à certains actes, en disposant à sa guise de ressources fiancières qui, dans l'esprit des donateurs, ne lui appartiennent pas ? Et à entraîner par sa décision une reconnaissance d'une culpabilité sytémique collective, plus confortable que l'examen des responsabilités individuelles ?

La CIASE fut pilotée par Jean-Marc Sauvé, ancien membre du Parti Socialiste, et ancien membre - pendant douze ans - du Conseil d’État. Il s'y était distingué par sa volonté d'interdire le crucifix qui devait surplomber la statue de Jean-Paul II à Ploermel et par sa signature des deux arrêts de 2014 condamnant Vincent Lambert à mourir de soif. Si l'on y ajoute ses solides amitiés maçonniques, son statut de victime présumée, son passage au séminaire, son choix de s'entourer de Nathalie Bajos, Julie Ancian ou Josselin Tricou, personnalités aux opinions peu nuancées et très éloignés de l'enseignement catholique, il est abusif de le classer comme un "grand chrétien". Avant tout, il s'agit d'un grand bourgeois, politiquement à gauche, et donc progressiste.

Côté catholique, son interlocuteur fut Mgr Eric de Moulins-Beaufort, actuel évêque de Reims et président de la CEF. On se souvient qu'il avait déchaîné la colère des bonnes consciences républicaines, en octobre 2021, pour avoir rappelé que le secret de la confession était un absolu, et que les lois de la république ne pouvaient pas l'abolir. Rappelé à l'ordre par Darmanin, et convoqué place Beauvau, il s'y était docilement rendu pour s'en expliquer. Ce même ministre lui donnera la légion d'honneur le 6 décembre 2021. Pour services rendus ?

Le rapport de la CIASE avait publié une évaluation à 330.000 du nombre des victimes d'abus sexuels depuis les années 50, chiffre admis sans aucune objection par Mgr de Moulins-Beaufort, qui en avait conclu à une perversion systémique de l'institution. Dans le public, le rapport avait accrédité l'idée que l'église catholique était un ramassis de prédateurs. Caroline Fourest avait salué "le grand courage, la grande droiture de cette commission qui a traversé l'enfer". Evidemment.

Cependant, quelques intellectuels, et notamment l'académie catholique de France ont examiné la méthodologie du décompte de la CIASE, et pointé ses nombreuses lacunes.

Les juristes ont également pointé les aberrations de la démarche, dans la tribune publiée ci-dessous : dilution de la responsabilité personnelle, évaluation du pretium doloris, mutualisation des réparations. Ils en concluent au droit légitime de tout fidèle de ne pas co-financer l'échec du cléricalisme.

Comme souvent, ce sont les faits qui tranchent. Au 1° mars 2023, 1186 personnes ont contacté de l'instance financière de dédommagement (INIRR), qui a pris 201 décisions, dont 190 décisions d'un dédommagement financier moyen de 37.000 euros*. L'écart entre le nombre évalué par la CIASE et le nombre de déclarants laisse à penser qu'au vrai, l'évaluation de la CIASE était aussi sérieuse que les prédictions d'apocalypse concernant la Covid...


* Il est à remarquer que les dédommagements ont été plafonnés à 60.000 euros, selon une idée portée à l'époque par Hollande, qui voulait plafonner les indemnités fixées par les prud'hommes. Au nom de quoi ?




Abus : « Les fidèles ont le droit légitime de ne pas cofinancer l’échec du cléricalisme »

Après leur Assemblée plénière, les évêques se sont engagés à créer un fonds d’indemnisation des victimes de violences sexuelles dans l’Église. Un collectif de catholiques juristes et universitaires s’interroge sur les moyens destinés à abonder ce fonds et défend le refus de certains fidèles de s’associer à ces indemnisations.

À Lourdes, examinant les suites de la Ciase, les évêques de France viennent de reconnaître leur « responsabilité institutionnelle » dans les affaires de mœurs, entraînant un « devoir de justice et de réparation ». Ils s’engagent le 8 novembre « en vue d’indemniser les personnes victimes » « à abonder » un fonds de dotation érigé depuis juin dernier selon la loi du 4 août 2008, dit « Fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs » (SELAM) « en se dessaisissant de biens immobiliers et mobiliers de la CEF et des diocèses ». « Un emprunt pourra être souscrit » ont-ils encore avancé. Bien des contours demeurent imprécis et des questions complexes sans réponse sur une réparation pécuniaire et le principe de responsabilité.

Nous, laïcs juristes et universitaires, au service de la victime par nos métiers, sommes affligés pour les milliers de victimes blessées dans leur vie, à vie, comme par l’impunité des religieux ou laïcs missionnés qui se sont rendus coupables ; mais aussi meurtris pour les milliers de saints prêtres, diacres, religieux, consacrées et admirables bénévoles laïques, victimes collatérales. Pour autant, nous ne serions pas d’accord avec ce qui s’apparenterait à une « socialisation » ou « collectivisation » des graves « scandales » (Mt. 18 : 6) commis et modes de réparations envisagés.

Nous estimons n’avoir ni responsabilité ni culpabilité dans ces « scandales », crimes pédophiles comme les crimes d’omerta. Nous attendons toujours des explications, qui ne nous ont pas été fournies par la Ciase, de la part des présidents de la CEF, Mgrs Pontier, André Vingt-Trois et Ricard,en fonction entre 2001 et avant 2018.

Nous sommes troublés de l’absence de réflexion théologique sur la portée de certains choix juridiques. Si la réparation est le devoir du coupable d’un péché, mais aussi dit St Thomas d’Aquin de celui « Ne s’opposant pas, Ne dénonçant pas » (adage Tenentur omnes illi qui, quoquo modo), cela pose d’abord une question de responsabilité personnelle (prêtre ou évêque mis en cause), quitte à imaginer une reprise de l’action en dommage. Ensuite le docteur de l’Église n’a pas envisagé le pretium doloris (prix de la douleur) que même nos jurisprudences laïques n’ont admis qu’après la Seconde Guerre.

Quelle théologie peut-on se faire sur cette question complexe, aux carrefours avec les lois du Monde qui ramènent tout à l’argent ? Pour condamner le scandale aux petits, Jésus emploie l’image inouïe d’une peine capitale avec une meule d’âne attachée au cou, en même temps promet le paradis au coupable, condamné de droit commun, mais repentant, et à un blessé de la vie Il demande « veux-tu guérir ? » L’Église, n’étant pas une ONG, ne peut entrer dans une logique d’ONG. Quelques recommandations d’un rapport comme un communiqué de presse ne suffisent pas à épuiser toutes ces questions.

Nous rejetons aussi par avance toute mutualisation d’une réparation des victimes qui se ferait sur le dos de la confiance des fidèles, par le biais du risque d’un détournement indirect de leurs Deniers ou legs.Quelles relations transparentes aura ce fonds, doté de la personnalité juridique, titulaire de l’emprunt, avec la seule entité juridique civilement responsable que sont les Associations diocésaines, reconnues depuis 1923, sous protection mais aussi contrôle tant de la loi de 1905-1907 que des fidèles par l’intermédiaire de leur conseil diocésain ?

Ce sont théoriquement elles qui portent la responsabilité pécuniaire en inscrivant dans leur bilan une dette de réparations. C’est bien le Denier qui forme leur recette majoritaire pérenne (256 M€) suivi des legs (98 M€) (les quêtes vont aux paroisses et le casuel aux prêtres). Alimenté sur la base du « volontariat », ambitionnant la collecte de « 5 M € », ce fonds y suffira-t-il, sur la durée ? Un archevêque parle plutôt de « centaines » de M € ! La Ciase n’a pas expertisé à fond la question des recettes.

Si le sujet n’était pas si grave on sourirait à l’illusion que le fonds soit alimenté sur le « patrimoine des agresseurs » (Recom. 33), la moyenne de pension d’un religieux retraité étant de 900 € mensuels… On jure de tous côtés que le Denier ne servira pas, aujourd’hui ; tout au plus admet-on la vente de « biens immobiliers et mobiliers » de l’Église, mais avec quelles recettes si ce n’est le Denier ou des legs ont-ils été acquis après 1905 ? La confiance des donateurs et testateurs ne doit pas être rompue par le flou ou trahie par la suite par le risque de « cavalerie budgétaire ».

Si venir au secours des blessés est devoir de justice caritative, sans recourir nécessairement ou exclusivement aux dommages et intérêts, les fidèles ont le droit légitime de ne pas accepter de cofinancer l’échec du cléricalisme, selon le mot du pape, par le biais de leur Denier ou legs, antérieurs comme futurs. Le Denier est devoir de tout baptisé (Canon 222), mais comment blâmerait-on ceux qui décideraient en conscience, à titre conservatoire, de le verser à d’autres Fondations d’Église qu’aux Associations diocésaines tant que les clarifications ne viennent pas ?

Nous appelons donc à la vigilance sur toutes les questions que soulève ce « chantier » ouvert car les réponses vont au-delà du devoir présent, comme nous attendons des réponses précises qui en découleront. On ne peut plus se payer de l’incantatoire « Faites confiance à la hiérarchie », détournement du « Confiance ! n’ayez pas peur ! » (Mc 6 :50).

Signataires :
Marie-Thérèse AVON-SOLETTI, maître de conférences
Me Françoise BESSON, avocate
Christophe EOCHE-DUVAL, juriste
Edouard HUSSON, agrégé, professeur des Universités
Me Santiago MUZIO, avocat
Me Anne-Laure REVEILHAC DE MAULMONT, avocat
Me Daniel TARASCONI, avocat

Source : La Croix, 11/11/21.

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